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vendredi 15 novembre 2024

Le conflit des universaux

Qu’est-ce que l’universel ? Y a-t-il plusieurs conceptions de l’universel ? L’humanisme moderne est-il la seule forme d’humanisme et la voie royale vers cet universel ? Voici un court texte aphoristique de Fouad Bahri énonçant quelques critiques sur l’universel humaniste et posant les prémices de ce que pourrait être un humanisme religieux.

L’humanisme exclusif prétend à l’universel lors même qu’il n’en atteint pas le principe mais en constitue l’inversion, du moins si l’on considère que l’humain n’est pas à lui même son propre principe dès lors qu’il est à la fois l’effet et la manifestation de Ce qui le dépasse, de Ce qui le précède, de Ce qui lui fait face.

Ce retour à une transcendance est lui-même présent dans la démarche propre à l’humanisme qui prétend transcender le particulier vers l’universel, mais un universel paradoxalement indéfini, indéterminé et sans réel contenu.

L’universel humaniste souvent décrié comme un particularisme théoriquement extrapolé (sous sa forme religieuse – chrétienne : ethnique – européenne ; ou sociale – bourgeoise) ne se réduit le plus souvent qu’à une pure réalité factuelle – autrement dit le constat que les Hommes forment un genre particulier qui les distinguent des plantes ou des animaux – une réalité factuelle dont l’universel humaniste tire sa substantifique moelle et qui ne fonde rien d’autre pour lui que le droit de persévérer dans cette même réalité, de la reconduire perpétuellement et ce droit est ce que l’humanisme nomme liberté.

A partir de ce postulat limité, l’humanisme comme variante d’une pensée matérialiste et exclusivement immanente ne peut plus revendiquer les moyens philosophiques de sa politique, se révélant incapable de fonder une quelconque conception de la liberté car si tout est in fine déterminé par des lois sociales, matérielles, biologiques, lois impersonnelles, impassibles et impartiales toujours déjà là, et si l’Homme n’est lui-même qu’une espèce d’animal amélioré jeté au monde par les caprices d’un hasard créateur, organisateur et législateur drapé des attributs du Divin, où l’Homme puisera-t-il cette fameuse liberté qui implique distance avec le monde, qui nous enjoints solennellement de le transcender en conscience et dans notre pensée, et en un sens de lui imposer notre propre discontinuité ?

Toute la question est là et une partie de la réponse se trouve certainement à la fois dans la conception que l’Homme peut se faire de la nature du Réel et de la nature de la pensée ou de l’esprit. Il est certain que la pensée est bien loin de se réduire à la seule activité logique, formelle, calculatrice ou analytique que l’on attribue traditionnellement à la raison. La conscience, l’intuition intellective, l’imagination et la projection hors des limites sont autant de possibilités offertes à l’esprit humain d’inventer, de créer, de transformer.

Ces manifestations dynamiques de l’esprit sont bien de nature à nous libérer de la continuité circulaire et homogène d’un monde clos sur lui-même et fermé à tout Infini, vision caractéristique de la production de ce que nous désignons sous le vocable de « raison mutilée », cette raison cloisonnée sur elle-même et déconnectée des mondes.

La pensée chez l’Homme transcende la matière en lui étant simultanément agrégée et c’est là tout le mystère de la nature humaine, ce qui définit son scandale et lui offre, autre paradoxe, l’opportunité d’un salut.

Nous avons là le point de départ d’une conception humaniste ancrée dans l’Origine et ouverte vers l’Infini, le point de passage entre deux universaux terrestre et céleste, inductif ou inférentiel et déductif, immanent et transcendant.

Une conception qui pense que l’on atteint l’universel en approfondissant sa propre tradition, nourri de ses propres racines elles-mêmes alimentées et abreuvées de la terre commune. De cette sève matricielle nous puisons la force et l’énergie de notre développement au point de voir notre tronc se raffermir, nos branches s’élever vers les cieux, notre feuillage s’épaissir et nos fruits s’établir.

L’Homme est ce signe reliant Terre et Ciel et dans ce signe se manifeste l’Un, Premier et Dernier, Apparent et Invisible. C’est, à peu de chose près et en quelques mots, les prémices de ce que nous pourrions nommer l’« humanisme religieux ».

Fouad Bahri

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