Seconde partie de la chronique d’analyse critique du Coran des historiens publiée par Mizane.info. Dawud Salman réfute, dans ce second volet, les affirmations de Guillaume Dye sur la pluralité d’auteurs du Coran, la thèse d’une composition coranique tardive, et d’autres affirmations encore soutenues par certains historiens malgré les découvertes archéologiques.
L’étude du contexte historique pourra apporter des éléments et renseignements supplémentaires du point de vue historique.
Le Qur’ân, pour sa part, ne se propose pas d’enseigner les détails historiques, mais de mieux connaitre Dieu et Sa Volonté, de méditer sur de nombreux signes de la Création (phénomènes scientifiques, personnages historiques et prophètes, l’éthique, les rites opératifs, la psychologie, la sociologie, la métaphysique et la cosmogonie, la spiritualité et le droit, etc.) en donnant des clés et des principes, et où certains détails peuvent être connus par d’autres moyens, renvoyant ainsi les « lecteurs » aux autres modes de savoir (les anciennes Révélations, les études scientifiques, les manuscrits historiques, l’expérience spirituelle, les outils juridiques, etc.).
Comme nous l’avons dit et vu, la recherche historique confirme bien le Qur’ân et la tradition musulmane dans les grandes lignes, donc, une nouvelle fois, Guillaume Dye 1 présente une hypothèse (réfutée qui plus est) comme un « dogme absolu ».
Par ailleurs, le Qur’ân ne se réduit pas qu’à la Mecque, et le Prophète non plus. Il a existé des communautés chrétiennes en Arabie comme en témoigne l’histoire, notamment à Najrân.
A la Mecque, les chrétiens étaient certes peu nombreux, mais il y en avait dans autres régions, tout comme pour les juifs (notamment à Médine).
Le spécialiste Christian Julien Robin (né en 1943), qui est historien, épigraphiste, archéologue et spécialisé dans les études liées au monde musulman et à l’Arabie pré-islamique, a recensé de nombreuses données qui corroborent les énoncés qurâniques et plusieurs ahadiths de la tradition musulmane, sur la situation religieuse, politique et culturelle qui prévalait dans l’Arabie pré-islamique ainsi qu’au début de l’Islam 2.
Comme déjà indiqué précédemment, le Qur’ân dans sa forme actuelle existait déjà à l’époque des compagnons, donc dès les premières décennies de l’Hégire 3.
Les Sûrates et les versets étaient bien destinés à être réunis dans un même corpus, d’où les appellations « Kitâb », « Wahî », etc. que l’on retrouve dans le Qur’ân ou ailleurs.
En effet, certains versets se ressemblent, mais l’on constate que la présence de certaines répétitions partielles prend tout son sens, lorsque l’endroit et les nuances linguistiques apportés accentuent les sens ou apportent des précisions pertinentes.
Pour le reste, nous avons déjà répondu aux affirmations erronées de l’auteur (et hypothétiques dans le meilleur des cas).
Retrouver la 1ere partie de cette chronique : Le Coran des historiens : que faut-il en penser ? 1/2
Concernant le fragment de l’Evangile de Marc, sa datation de manière certaine se situe non pas avant 90 après J.C. (selon l’analyse au C14 de 2015) mais de la fin du 2e au début du 3e siècle par la paléographie sans aucun doute possible 4.
Guillaume Dye pose cette question : « Si ce n’est pas Mahomet, qui sont les rédacteurs du Coran ? 5 »
Une fois de plus, d’une hypothèse non-démontrée, Dye en tire une conclusion péremptoire sans procéder à une démonstration rigoureuse.
Aucun indice historique, même maigre, ne laisserait suggérer une telle chose, sur base de simples ressemblances, même sur le plan purement rationnel.
Et comme déjà évoqué au début, le Discours qurânique s’articule sur plusieurs axes, et selon l’axe abordé, le discours portera sur un point précis, donnant de fil en aiguille, une vision globale des rapports avec les autres.
Sur le plan du vivre-ensemble, le respect sera de mise ; sur le plan militaire ceux qui prennent les armes pour combattre les musulmans ou les non-musulmans sous leur autorité seront alors combattus ; les vérités révélées et qualités des autres communautés religieuses seront rappelées et évoquées, tout comme le mauvais comportement, les mauvaises interprétations ou les altérations qu’ont subi leurs livres sacrés ou religieux au fil du temps.
Tout cela ne relève pas du contradictoire sur le plan factuel tout comme sur le plan logique.
Les spécificités de la langue arabe
Le choix de la langue arabe n’est pas anodin non plus, car cette langue, – qui contrairement à ce qui peut se dire ici et là semble bien précéder l’hébreu et d’autres langues sémitiques -, répond parfaitement aux objectifs du Message islamique.
Ce n’est pas pour rien si de nombreux persans, turcs, berbères, juifs, européens, chinois, caucasiens, africains et autres, ont maîtrisé cette langue quand ils se sont mis à l’étudier, tout en la trouvant riche et passionnante.
Comme le note le spécialiste du sûfisme et « l’islamologue » Titus Burckhardt dans son L’art de l’Islam (éd. Sindbad, 1999) une langue archaïque comporte la possibilité de condenser toute une doctrine en une formule brève et concise comme un diamant.
Cette possibilité est actualisée pleinement dans le Qur’ân.
La concision de la phrase n’en limite pas la profondeur, phrase d’ailleurs brève et répétitive.
Ce langage rythmé et cristallin est parfaitement adapté au symbolisme.
Rigoureusement phonétique, les lettres désignent également les sons, reflet du Verbe et du Souffle divin qui actualise les formes. « L’identification du son et de l’acte est immédiate et spontané ».
« Tout mot arabe dérive d’un verbe constitué par trois sons invarariables, qui sont comme un idéogramme sonore, et dont dérivent jusqu’à douze différents modes verbaux (…) chacun de ces modes produisant à son tour toute une constellation de substantifs et d’adjectifs, dont le sens premier se rattachera toujours, d’une manière plus ou moins directe, à celui de l’acte fondamental représenté par la racine trilitère de tout « l’arbre » verbal » (op.cité).
D’ailleurs, le classement dans les dictionnaires traditionnels en arabe n’est pas par ordre alphabétique mais par racines trilitères.
Par exemple, si l’on recherche un de ces mots : qadam (pied), qadîm (ancien), taqaddama (est antérieur), muqaddam (représentant), muqaddimah (introduction), on va à QDM, comme le notait Aminour Belisma dans son article Coran et langue arabe (1er décembre 2006 sur son blog http://aminour.unblog.fr/2006/12/01/coran-et-langue-arabe/).
« Il est évident que cette transparence sémantique du langage, le fait qu’il découle tout entier, dans son symbolisme, de la nature phonétique du verbe, est une preuve de sa relative primordialité.
C’est qu’à l’origine, et dans le fond même de notre conscience, les choses sont spontanément conçues comme des déterminations du son primordial qui résonne dans le coeur, ce son n’étant autre chose que l’acte premier, non individualisé, de la conscience ; à ce niveau ou dans cet état, « nommer » une chose, c’est s’identifier avec l’acte ou le son qui la produit (…) La langue arabe est comme suspendus à l’intuition auditive » » (op. cité).
D’autres chercheurs, comme Marcel André Boisard, Jacques Berque, Martyn Smith, Dale F. Eickelman, Ralph et Richard Lazarus, F. E. Peters, Richard Bulliet ou Raymond Farrin ont montré la cohérence du Texte qûranique et donc son unité, excluant une composition hétérogène par différents auteurs à travers le temps.
C’est pourquoi la psalmodie du Texte qurânique (qui a donné la science du tajwîd) suggéré par le rythme qui lui est inhérent lui rend tout son relief et lui restitue son caractère proprement rituel par analogie au son primordial et indifférencié qui est comme la substance de l’énonciation divine perpétuelle.
C’est pour cette raison que tout musulman (non-arabe) apprend au minimum quelques versets qurâniques en langue arabe, ne serait-ce que pour accomplir la prière rituelle, généralement on commence par l’apprentissage de la Sûrah Al Fatiha, qui est courte mais fondamentale dans la prière canonique.
Il goûte ainsi à une « saveur » et a conscience que son intelligence dans sa totalité participe plus directement à la Parole Divine.
Le mot arabe « mubîn » avec lequel Allâh qualifie la langue arabe : « hâdhâ lisânun ‘arabiyyun mubîn » (« Celle-ci est une langue arabe évidente ») Qur’ân 16,103, correspond au mot français « perspicuité », du latin perspicuus [transparent, qui laisse passer la lumière] avec le suffixe ité -itas- qui en exprime la qualité.
Ainsi, en parlant de la langue arabe, Abdul Hâdi Ivan Aguéli dans son Traité de l’Unité (attribué à tort à Ibn ‘Arabî selon certains spécialistes) dit :
« Cette langue est algébrique, de sorte que l’étude de sa grammaire est, pour ainsi dire, l’exposition du mécanisme de la pensée. Il est difficile de faire un faux raisonnement en arabe sans faire des fautes de syntaxe, de lexique ou autres. La perspicuité de la phrase arabe est la meilleure preuve de la sainteté de cette langue, c’est-à-dire de sa primordialité ou de son édénisme ».
Des auteurs et connaisseurs comme René Guénon, Michel Vâlsan, Charles-André Gilis, Muhammad Vâlsan et Pierre Lory ont montré, qu’avec la science des lettres (‘ilm al hurûf), où chaque lettre de l’alphabet arabe possède une valeur numérique, la cohérence du Texte qurânique était démontré (plusieurs calculs et analyses à l’appui), avec une signification métaphysique des plus profondes.
Cette science, dit-on, remonterait jusqu’à l’imâm ‘Alî (la détenant du Prophète Muhammad), et fut transmise ou communiquée (de façon verticale et/ou horizontale) à de nombreux maîtres spirituels, dont l’imâm Jâ’far As-Sâdiq, Ibn ‘Arabî, Al-Qashanî et d’autres.
Réfutation des thèses sur la pluralité d’auteurs du Coran
D’autres chercheurs, comme Marcel André Boisard, Jacques Berque, Martyn Smith, Dale F. Eickelman, Ralph et Richard Lazarus, F. E. Peters, Richard Bulliet ou Raymond Farrin (voir son excellent ouvrage Structure and Qur’anic Interpretation: A Study of Symmetry and Coherence in Islam’s Holy Text, éd. White Cloud Press, 2014) ont montré la cohérence du Texte qûranique et donc son unité, excluant une composition hétérogène par différents auteurs à travers le temps (hypothèse qui n’a jamais pu être vérifiée, et qui reposait aussi sur une datation tardive, aujourd’hui définitivement réfutée).
Il y a aussi les analyses linguistiques qui montrent les subtilités des versets et leur correspondance analogique avec la science, l’histoire, la sociologie, la psychologie, etc., comme le souligne les conférences donnés par Nouman Ali Khan, qui s’est spécialisé dans ce domaine depuis de nombreuses années.
On voit dès lors mal comment le Qur’ân pourrait être l’objet d’une manipulation politique pour des ambitions califales, alors que d’une part, le Qur’ân ne contient pas d’indications explicites sur les modalités du système califal.
D’autre part, il n’est mentionné aucun nom d’un quelconque calife de la période omeyyade ou abbasside, ce qui aurait été probablement le cas si le Qur’ân était le fruit de l’élaboration de copistes sous la supervision d’un ou plusieurs dirigeants.
En outre, une lecture attentative du Qur’ân montre que le terrorisme, la violence gratuite, l’injustice, l’hypocrisie, le mensonge, l’iniquité, la tyrannie et la corruption sur terre, sont formellement prohibés et catégoriquement dénoncés et blâmés.
De même, le discours qurânique interdit le mauvais traitement des esclaves tout comme des prisonniers, et exhorte à affranchir les esclaves, à secourir les opprimés et les persécutés, et à aider les nécessiteux.
Tous ces éléments sont incompatibles avec un agenda politique fondé sur la tyrannie, le mensonge, l’asservissement des opprimés et des pauvres.
Concernant les signes diacritiques, contrairement à une thèse répandue qui la situait plusieurs générations après la mise par écrit du Qur’ân, des preuves archéologiques ont montré que cet usage existait déjà du temps du Prophète, et sans doute même avant, mais que ce n’était pas un usage systématisé.
Le Qur’ân, loin de soutenir un quelconque pouvoir politique de nature tyrannique, est la meilleure preuve s’y opposant, donc tous les injustes ont plutôt intérêt à étouffer le discours qurânique et à le désacraliser, car il est le meilleur témoin contre eux.
Sur le plan historique, on sait que la manipulation politique s’est faite à travers certains récits (avec très peu de chaines de transmission) frauduleux ou coupés, faussement attribués au Prophète, dans des récits singuliers, contredisant ouvertement le Qur’ân ou des ahadiths notoires (mutawatir), ce qui a suscité énormément de méfiance au sein des spécialistes du hadîth dans tout le monde musulman.
Les principaux transmetteurs et collecteurs du hadîth, comme Zayd Ibn ‘Alî, Mâlik, Abû Hanifa, As-Shafi’î, Ahmad, Sûfyan at-Thawrî, al-Bukharî et d’autres, se sont attirés les foudres du pouvoir politique de leur région car ils se refusaient de mentir sur la religion pour les seuls profits des dirigeants injustes, et car ils ont préféré l’intégrité.
D’ailleurs, dès la fin du 1er siècle de l’Hégire, les principaux courants musulmans apparaîtront, à savoir, les sunnites (et ses sous-tendances), les mu’tazilites, les ibadites, les zaydites (plus proches du sunnisme que du shiisme duodécimain), le shiisme duodécimain, les philosophes musulmans mais se situant en dehors des courants susmentionnés.
Tous, sans exception, se sont référés au même corpus qurânique dans leurs débats (transmis aussi bien oralement que par leurs écrits de l’époque ou retranscrits par leurs disciples respectifs).
Les arguments pour justifier les positions de chacun, se plaçaient surtout sur l’interprétation des versets, l’usage de certains ahadiths et l’approche intellectuelle (plus large) ou rationnelle (plus restrictive).
A l’exception de certains individus isolés se réclamant du shiisme, – mais désavoués par la plupart des savants shiites duodécimains -, qui prétendaient sans aucune preuve d’aucune sorte qu’il existerait un Qur’ân beaucoup plus volumineux auprès de l’imâm ‘Alî ou de Sayyida Fatima -, que celui communément admis, tous furent unanimes sur le Qur’ân (sous sa forme actuelle au niveau du corpus).
Même au sein des ahl ul bayt, de ‘Alî jusqu’à sa descendance actuelle, ils se réfèrent toujours au Qur’ân dit Uhtmanien.
Quand ‘Alî eut le pouvoir, il ne remit jamais en cause ce Qur’ân et s’y référait, de même pour ses fils et ses petits-fils.
C’était plutôt sur les connaissances et les sciences puisées du Qur’ân, que certains imâms des ahl ul bayt et de leurs disciples parmi les sûfis, se distinguaient, où effectivement, ils pouvaient extraire tellement d’enseignements et de sciences du Qur’ân, qu’il faudrait de nombreux volumes pour retranscrire tout cela.
Les détracteurs de la religion qui affirment que les fondateurs (prophètes) des grandes religions ne les ont fondé que pour amasser des richesses et avoir le pouvoir (alors qu’ils vivaient de façon modeste et ascétique tout en aidant les pauvres), et les orientalistes qui pensent que tous les compagnons et successeurs se sont tous concertés pour inventer des centaines de milliers de ahadiths alors qu’ils s’opposaient sur beaucoup de questions et qu’ils ne se connaissaient pas pour nombre d’entre eux, et qu’ils rapportaient des ahadiths qui ne mettaient pas en valeur les décisions pratiquées par le pouvoir politique de leur époque, sont en réalité les plus idiots des complotistes de notre temps.
On peut aussi retourner la critique des « sceptiques » contre eux-mêmes, où leurs opinions procèdent avant tout de considérations politiques et idéologiques plutôt que de la recherche de la vérité.
Sur le plan académique, le chercheur Muhammad Mustafa Al-Azami (1930-2017) dans son The History of The Qur’anic Text: From Revelation to Compilation: A Comparative Study with the Old and New Testaments (publié en 2003, 1ère édition, et 2011 pour la 2ème édition) a montré que le Qur’ân actuel remonte bien à l’époque du Prophète, qu’il fut préservé.
Il se base non seulement sur la force de la tradition orale et de la logique, mais aussi sur des données matérielles (archéologiques et historiques), et réfute ainsi les thèses de Ignác Goldziher et Joseph Schacht sur le sujet.
Il procède aussi à une comparaison entre le Qur’ân, l’Ancien et le Nouveau Testament dans les méthodes de préservation et de transmission.
La thèse que Pétra était le lieu d’origine du Hajj à l’époque du Prophète (thèse défendue par Dan Gibson) ne tient pas face aux évidences, car il y a une absence totale de mentions d’une telle pratique (des musulmans) parmi les sources musulmanes et non-musulmanes, et des traces auraient dû rester, au moins des traditions orales. Or il n’en est rien, et même du point de vue des données matérielles (archéologiques et historiques), David A. King a réfuté cette thèse, dans un article intitulé « From Petra back to Makka – From “Pibla” back to Qibla »
Et dans la science du hadîth, il publia Studies in Early Hadith Literature (1978 puis 1992), montrant qu’au temps du Prophète, il y avait déjà un ensemble de ahadiths qui était mis par écrit et enseigné aux compagnons et à leurs disciples.
Il est tout à fait logique qu’une personne capable de parler, d’écouter et de transmettre, – ici le Prophète Muhammad -, communique ses enseignements et que ses contemporains les assimilent et observent ses pratiques.
Toute la difficulté sera seulement et ensuite, d’opérer un tri afin de distinguer les ahadiths authentiques des autres, et ensuite, la bonne compréhension des ahadiths bien authentifiés.
D’autres travaux académiques vont également dans le même sens 7.
Les travaux qui montrent l’exactitude et la précision de l’agencement du Texte qurânique (et donc la transmission intégralement préservée du texte par le sens et les mots) tels que ceux de Adnan ar-Rifâ`î par exemple, se multiplient depuis des années.
L’alphabet numérique que Adnan ar-Rifâ’î a déduite manuellement lettre par lettre a été faite d’après tout le Qur’ân, et un logicien informatique comme Access Qur’ân permet de vérifier l’exactitude de ses calculs.
Ce genre d’études n’est pas récent, car cela existait déjà depuis très longtemps, comme celui de l’imâm Abû Bakr Muḥammad ibn al-Ṭayyib al-Bâqillânî (m. 403 H/1013), célèbre théologien, juriste, exégète, logicien, grammairien, linguiste et débatteur interreligieux musulman d’origine arabe, où il donna de nombreux arguments soutenant l’inimitabilité du Qur’ân, I‘jâz al-Qur’ân, et avant lui Ibn Qutaybah (213 H/828 – 276 H/889), de son nom complet Abû Muḥammad ʿAbdullâh ibn Muslim ibn Qutaybah ad-Dînawarî avec son Kitâb I‘râb al-Qur’ân (commentaire philologique du Qur’ân) et son Kitâb Dalâ’il al-Nubuwwa visant à montrer les preuves de la prophétie du Prophète Muhammad.
Ibn Qutaybah était un éminent linguiste et philologue, exégète et logicien, juriste et poète, historien et spécialiste du hadîth, astronome et botaniste, etc.
A lire aussi : Angles morts : les origines de la méthode historico-critique du hadith
Selon d’autres chercheurs, comme le Dr. Hassan Chahdi, on peut affirmer clairement que le Qur’ân est au moins préservé dans le sens (bil-ma’na), bien qu’il puisse y avoir des incertitudes comme la préservation du texte (lettres et mots) ; bi-lafz.
Il existe une certaine confusion et divergence au sein des exégètes musulmans, notamment en raison de l’apparition, – sans doute apocryphe -, de certains récits isolés indiquant que certains versets du Qur’ân auraient « disparu » (par abrogation selon certains) du corpus final.
Mais ces récits ne sont pas fiables ni même mutawatir (abondant/multiple) et seraient soit des commentaires des versets du Qur’ân, soit des ahadiths prophétiques que certains auraient confondu avec le Qur’ân, si l’on voudrait absolument tenir pour fiable ces récits isolés/singuliers, et Allâh sait mieux !
Sur l’usage tardif des signes diacritiques
Concernant les signes diacritiques, contrairement à une thèse répandue qui la situait plusieurs générations après la mise par écrit du Qur’ân, des preuves archéologiques montrent que cet usage existait déjà du temps du Prophète, et sans doute même avant, mais que ce n’était pas un usage systématisé.
Des papyrus datés de l’an 22 de l’Hégire renfermaient des points diacritiques :
Ici également sur un graffiti sur la roche, l’an 24 H l’année de l’assassinat d’Umar, on y voit des points diactriques :
Indépendamment de la question des supports par lesquels le Qur’ân originel a pu se transmettre, il faut se concentrer avant tout sur le message que le Qur’ân véhicule.
Qu’il y ait un auteur (Muhammad ou un autre), ou des auteurs, – aucune preuve, à ce jour, n’a pu être apportée pour démontrer l’existence de plusieurs auteurs, et encore moins leur identité exacte -, sur une période courte ou longue, cela, au final, ne change pas grand chose à la problématique, qui est de savoir si le Qur’ân actuel qui est commun à l’ensemble des musulmans, contient, dans son intégralité, un message conforme à l’Ordre Divin.
Il faut donc penser les critères qui permettent d’identifier un discours Divin, le distinguant d’un discours humain (aussi brillant soit-il).
On sait désormais, grâce à la découverte de très anciens manuscrits du Qur’ân, que le corpus qurânique existait déjà, dans sa forme actuelle, dès les premières décennies de l’Hégire (soit vers 650 environ), autrement dit, du vivant même des plus proches compagnons du Prophète.
Parmi les preuves spirituelles, citons le fait que de nombreux maîtres spirituels à travers toutes les époques (citons ici l’un des plus connus, à savoir Ibn ‘Arabî, – auteur de centaines d’ouvrages, entre 400 et 1200 selon les spécialistes -) ont authentifié la totalité du Qur’ân sur le plan de la réalisation spirituelle (les dévoilements spirituels et leurs commentaires inspirés spirituellement de tous les versets du Qur’ân démontrent qu’ils proviennent bien de Dieu (Allâh), et qu’ils possèdent des sens intérieurs/ésotériques en phase avec les degrés les plus élevés et profonds du Réel, et dont il n’est possible de les comprendre, que via l’authenticité et la pertinence du sens extérieur).
Ensuite, même sans s’arrêter aux sens profonds du Qur’ân sur le plan ésotérique, une lecture attentive, sur le plan exotérique, permet déjà d’en tirer de nombreux enseignements utiles, des sagesses diverses, des énoncés historiques à la fois exacts (de nombreuses découvertes archéologiques et historiques depuis plus de 50 ans, ont corroboré les récits qurâniques et un certain nombre de récits prophétiques, cf. Christian Robin, Geneviève Gobillot, …).
Sans souscrire à la tendance concordiste qui tente de voir des miracles scientifiques un peu partout dans le Qur’ân ou la Sunnah, il y a toutefois des énoncés de nature scientifique dans le Qur’ân qui sont non seulement exacts, mais qui sont aussi remarquables (comme sur le fer, les nuages lourds, l’embryologie, etc.) et qui ne reprennent pas les erreurs en vogue dans les théories (grecques ou autres) de l’époque (Abdelrhafour Elaraki dans Le Coran lu par un scientifique).
Le même constat s’applique aux analyses numériques du Qur’ân (cf. Abdelrhafour Elaraki dans Le Coran arithmétique – Lecture critique), ainsi qu’à la science des lettres (cf. Ibn ‘Arabî, René Guénon, Pierre Lory, Charles-André Gilis, Michel Vâlsan, Muhammad Vâlsan, etc.).
D’éminents scientifiques ont également montré en quoi le Qur’ân pouvait être une source métaphysique des plus stimulantes dans la recherche scientifique, et dont de nombreuses expériences scientifiques faisaient écho, pour eux, à leur méditation du Qur’ân 7.
Les affirmations problématiques de Guillaume Dye
Alors que certains orientalistes affirmaient que le corpus qurânique n’était pas achevé jusqu’à la fin du 8e siècle et le début du 9e siècle, l’on sait désormais, grâce à la découverte de très anciens manuscrits du Qur’ân, que le corpus qurânique existait déjà, dans sa forme actuelle, dès les premières décennies de l’Hégire (soit vers 650 environ), autrement dit, du vivant même des plus proches compagnons du Prophète, qui étaient encore en vie à cette époque-là (comme l’imâm ‘Alî), qui n’avait d’ailleurs jamais remis en question le corpus qurânique uthmanien, ni les versets et sûrates révélés par les autres compagnons tels que Abû Bakr, ‘Umar, Salmân, etc.
Depuis, un « nouveau consensus a émergé parmi les chercheurs travaillant sur les origines de l’islam » et donne une date du milieu du 7e siècle (vers 650) pour la composition du texte qurânique (le rasm) de base (cf. Jonathan E. Brockopp, « Islamic Origins and Incidental Normativity », Journal of the American Academy of Religion, vol. 84, no 1, 2016, pp. 28-43).
Des travaux récents (cf. Christian Julien Robin sur l’écriture arabe plusieurs siècles au moins avant la naissance du Prophète Muhammad) remettent en cause la théorie des emprunts lexicaux des langues non-arabes vers l’arabe qurânique.
La thèse que Pétra était le lieu d’origine du Hajj à l’époque du Prophète (thèse défendue par Dan Gibson) ne tient pas face aux évidences, car il y a une absence totale de mentions d’une telle pratique (des musulmans) parmi les sources musulmanes et non-musulmanes, et des traces auraient dû rester, au moins des traditions orales.
Or il n’en est rien, et même du point de vue des données matérielles (archéologiques et historiques), David A. King a réfuté cette thèse, dans un article intitulé « From Petra back to Makka – From “Pibla” back to Qibla » 8.
Qatâda ibn Di’âma (m. 736) dans son Kitâb al-manâsik faisait déjà mention du Hajj à la Mecque à son époque, donc dès le 1er siècle de l’Hégire, tout comme ‘Alî Zayn ul Abidîn, Jâ’far As-Sâdiq, Abû Hanifa et leurs contemporains ayant vécu au 1er siècle de l’Hégire et juste après.
Le Qur’ân appelant à la Vérité et à la connaissance, le savoir utile et pertinent ne saurait être blâmé.
Cependant, quand on se trouve plus dans l’idéologie que dans les faits, comme l’est Guillaume Dye, il faut savoir garder son esprit critique.
De même, la méthode historique n’est pas une science exacte et possède des failles et des lacunes.
Pour autant, elle peut apporter des informations utiles et pertinentes sur un certain nombre de points, et c’est ce qu’ont fait les premiers exégètes et chroniqueurs musulmans sans complexe d’aucune sorte.
Dye ne procède pas en bon historien, et ce, pour plusieurs raisons :
Il part déjà de l’idéologie/postulat que le Qur’ân est un texte purement humain élaboré par plusieurs auteurs dans un temps assez long. Mais il ne parvient jamais à le démontrer fermement. Des études, analyses et éléments divers réfutent et discréditent cette hypothèse.
Dye omet de nombreuses études et données historiques qui ne cadrent pas (ou très mal) avec son hypothèse de départ.
Il écarte, parmi les sources de première main, les textes et traditions de la principale communauté concernée (musulmane ici en l’occurrence). Va-t-on étudier les communautés et sociétés gréco-romaines, perses, africaines, etc., sans se référer à leurs propres écrits, en les discréditant simplement sur des bases idéologiques ? Non.
A lire également : Le christiano-centrisme de la méthode historico-critique
L’historien se documente un maximum en diversifiant ses sources, puis en les comparant les unes aux autres, en tentant de recouper les informations et d’analyser la pertinence des sources, de leurs auteurs, et des informations.
Il ne s’agit donc pas de tout prendre pour argent comptant, que ce soit dans un sens comme dans l’autre, mais d’explorer et d’exploiter toutes les ressources disponibles, et de voir si elles cadrent avec des éléments fiables (données historiques et archéologiques bien établies, faits scientifiques avérés, convergences d’éléments divers, etc.).
Autres affirmations problématiques de Guillaume Dye :
« Certes, mais il ne s’agit plus d’interpréter tel verset coranique en se fondant prioritairement sur l’exégèse d’un commentateur musulman bien postérieur … ».
Or, ils étaient plus proches des origines, avaient accès aussi à des sources et des matériaux qui semblent avoir disparu aujourd’hui, et étaient en contact avec les générations précédentes, partageant donc, sur de nombreux points, des mentalités et aspirations communes.
En suivant le raisonnement de G. Dye jusqu’au bout, on ne devrait pas alors le suivre et le prendre en considération, car non seulement il n’est pas compétent et il se contredit (tout en tenant des contradictions factuellement fausses) sur plusieurs points, et en plus de cela, il est encore bien plus tardif que les commentateurs du Qur’ân qu’il tente de discréditer.
En plus de cela il n’est pas musulman, ni même habilité à éclairer la compréhension du Qur’ân.
Pour les ahadiths, la Sirâ et les chroniques (historiques) de l’époque, il confond volontairement la preuve matérielle manquante d’un manuscrit ancien qui daterait d’avant le siècle et demi après la mort du Prophète et l’élaboration des hadiths, Sira ou chroniques alors qu’on ne peut absolument pas en déduire qu’ils ont été inventés à partir du « siècle et demi après la mort du Prophète » juste à cause de ce manque de preuves matérielles, comme le faisait remarquer judicieusement Hussein déjà.
Les annonces fallacieuses d’un projet éditorial
Voici comment l’éditeur présente ce travail : « Une aventure inédite de l’esprit.
Une somme sans précédent dans l’histoire. Une contribution majeure à la science.
Une avancée décisive pour la compréhension mutuelle des cultures ».
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un événement mondial, et hormis une partie des chercheurs du monde francophone s’intéressant au sujet, cela va changer très peu de choses, y compris dans la sphère francophone.
Ensuite, il ne s’agit pas du tout d’une initiative originale ou unique, car d’autres projets similaires avaient déjà été réalisés, y compris dans le monde francophone comme Le Coran : nouvelles approches sous la direction de Mehdi Azaiez et de Sabrina Mervin, paru aux éditions CNRS en 2013, où ont collaboré une dizaine de chercheurs.
Par ailleurs il est faux de prétendre que 30 parmi les « meilleurs spécialistes internationaux » participent à cet ouvrage, car y sont absents des chercheurs faisant autorité dans le monde académique, comme Asma Afsaruddin, Seyyed Hossein Nasr, Sherman A. Jackson, Joseph E.B. Lumbard, Caner Karacay Dagli, Muhammad Zubayr Siddiqi, Muhammad Mustafa Al-Azami (décédé en 2017), Jonathan Andrew Cleveland Brown, Harald Motzki, Geneviève Gobillot, etc., et dont certains participèrent au célèbre travail The Study Quran publié chez HarperOne en 2015.
Et a contrario, dans cet ouvrage, des chercheurs dont l’autorité aussi bien que les thèses sont fortement contestées comme Guillaume Dye et Mohammad Ali Amir-Moezzi, font partie de l’aventure.
Par contre, il y a effectivement des chercheurs qualifiés, – qui pourtant nuancent ou réfutent selon les cas les thèses de G. Dye, de Gabriel Said Reynolds et de A.A. Moezzi -, comme Frédéric Imbert, Christian Julien Robin et François Déroche.
Cela donne ainsi une qualité vacillante et oscillante selon les auteurs et les chapitres abordés, ce qui gâche l’aspect général du travail, – colossal il faut le dire -, fourni ici.
Il y a tout un travail de documentation utile qui doit être salué ici, même si les réflexions ne sont pas toujours à la hauteur de ce que l’on pourrait exiger sur le plan intellectuel et la rigueur académique.
De même, il y a une certaine diversité dans les tendances représentées dans cet ouvrage collectif, avec des auteurs qui abondent dans le sens de la tradition musulmane dans les grandes lignes, et les tenants de l’école hypercritique dont les thèses ne sont plus prises au sérieux dans le monde académique international, puisque plusieurs de ses thèses ont déjà été réfutées sur le plan historique aussi bien que linguistique.
Les preuves matérielles (c’est à dire les fragments coraniques des toutes premières années de l’islam en notre possession) sont si nombreuses qu’elles ruinent les hypothèses élaborées par l’école hypercritique (…) le récit traditionnel d’une compilation dans l’immédiate succession du Prophète est « une évidence matérielle ». Nous avons la plus grande partie du Coran, authentifié par la science et le carbone 14, qui correspond au texte aujourd’hui imprimé.
Le premier tome offre une synthèse partielle des articles sélectionnés par G. Dye et A.A.-Moezzi, issus de différentes universités impliquées dans l’islamologie.
On y trouve différents points de vue, et non pas seulement les adeptes de l’école « hypercritique ».
Les travaux de Michel Cuypers (avec la rhétorique sémitique qui montre la cohérence du Texte qurânique) et ceux de Geneviève Gobillot (avec l’intertexualité notamment) sont mentionnés, et ces deux chercheurs ne s’inscrivent pas dans le paradigme défendu par l’école hypercritique.
Pour les chapitres où les matériaux historiques (notamment l’épigraphie) sont évoqués ou analysés, ils ont fait clairement appel à des chercheurs qualifiés, qui eux non plus, ne s’inscrivent pas dans l’école hypercritique, tels que Christian Julien Robin, François Déroche, Frédéric Imbert et Michael Marx.
Les deux autres tomes constituent plutôt un commentaire des versets qurâniques avec des comparaisons et des références aux autres textes religieux (les évangiles canoniques et les textes extra-bibliques notamment).
Il ne faut pas s’attendre ici à un « commentaire » profond d’ordre spirituel, ou même archéologique de pointe (où il y aurait pourtant pas mal de choses à dire, car de nombreuses découvertes archéologiques récentes appuient le discours qurânique et certaines traditions prophétiques présentent dans les corpus de ahadîths).
« La ruine des hypothèses de l’école hypercritique »
L’historien Daoud Riffi, et aussi spécialiste de l’islam, le 30 novembre 2019, au cours d’une discussion de groupe, relatait ceci :
« En 2014 le « coranologue » allemand Mathieu Marx était invité sur France culture afin de présenter un bilan des travaux menés par une équipe d’islamologues franco-allemands, dont François Déroche côté français : le programme CORANICA.
Ces chercheurs appartiennent à une autre école islamologique que celle défendue par les 2 chefs d’orchestre du « Coran des historiens » (même si des spécialistes de CORANICA sont contributeurs également, tels que Déroche et Robin).
Toujours est-il que cette autre école s’appuie en partie sur les données archéologiques.
Et là M. Marx est formel : les preuves matérielles (c’est à dire les fragments coraniques des toutes premières années de l’islam en notre possession) sont si nombreuses qu’elles ruinent les hypothèses élaborées par l’école hypercritique : il explique que le récit traditionnel d’une compilation dans l’immédiate succession du Prophète est « une évidence matérielle ». Nous avons la plus grande partie du Coran, authentifié par la science et le carbone 14, qui correspond au texte aujourd’hui imprimé.
A lire : Walter Vogels : les limites de la méthode historico-critique 1/2
Il est à l’opposé de théories qui fleurent le complotisme, voyant des mains politiques (omeyyades ou abbassides) partout, qui seraient venues édulcorer le texte et en faire un patchwork sans saveur de traditions juives et chrétiennes (M. Marx dit tout le contraire).
Davantage : il rappelle que bien des « découvertes » des islamologues n’en sont pas : lexique non arabe, question liée aux choix fait dans la compilation etc. : tout cela est discuté dans le détail par les savants classiques de l’islam (c’est d’ailleurs exactement ce qui est fait par nombre d’islamologues concernant le Hadith, qui pillent allègrement les textes de l’islam classique…).
À l’écoute de cette émission on ne peut être que frappé par l’humilité et le bon sens de Mathieu Marx qui n’a rien à envier à des chercheurs bien plus médiatisés et écoutés par le grand public, bien au contraire ». (https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-dislam/le-seminaire-coranique-4).
Dawud Salman
Remerciements à Hussein Deja et Ahmed Amine pour leurs compléments d’information et leurs critiques.
Notes :
1-Assertion de Dawud Salman relative à ce passage de l’entretien de Guillaume Dye consacré au Point :
« La remise en cause de la tradition musulmane va très loin, semble-t-il, puisque certains historiens nient le fait que le Coran est le reflet de la prédication de Mahomet…
Effectivement et, de toutes les remises en cause qu’entraîne cette approche nouvelle de l’historiographie, c’est de loin la plus sensible.
C’est d’ailleurs sur ce point que les historiens sont restés jusqu’ici les plus tributaires des sources sunnites, pour qui le Coran est non seulement le reflet fidèle de la prédication mais le message délivré par Dieu lui-même : il n’est pas, comme la Bible ou les évangiles, l’œuvre des hommes, il est « incréé », consubstantiel à Dieu lui-même.
Et c’est Mahomet qui reçoit ce message divin. Les historiens occidentaux ont sécularisé cette tradition en disant qu’il était l’auteur du Coran.
Les recherches partaient donc du postulat qu’il existait un lien indissoluble entre le Coran et son Prophète.
Aujourd’hui, des historiens, dont je suis, essaient d’aborder le texte différemment, en se fondant sur certains indices, par exemple des aspects du Coran qui contredisent l’image que l’on peut se faire de La Mecque au VIIe siècle.
Ainsi, alors que le contexte chrétien est très prégnant dans le Coran, nous n’avons aucun indice d’une présence chrétienne substantielle dans La Mecque du VIIe siècle ».
2- Voir par exemple L’Arabie à la veille de l’Islam : Bilan clinique, Paris, éd. De Boccard, 2009 ; L’Arabie antique de Karib’îl à Mahomet : Nouvelles données sur l’histoire des Arabes grâce aux inscriptions, Aix-en-Provence, éd. Edisud, 1991 ; Juifs et chrétiens en Arabie aux Ve et VIe siècles : regards croisés sur les sources, Paris, éd. ACHCByz, 1999 ; Nagrān vers l’époque du massacre : notes sur l’histoire politique, économique et institutionnelle et sur l’introduction du christianisme (avec un réexamen du Martyre d’Azqīr), 2010 ; Arabia and Ethiopia, dans Scott Fitzgerald Johnson, éd. The Oxford Handbook of Late Antiquity, Oxford (Oxford University Press), 2012, pp. 247-332.
3- Toutes les affirmations de Guillaume Dye présentes dans le passage suivant sont surprenantes car elles reposent sur des hypothèses historiques abandonnées ou réfutées :
« Concrètement, qu’est-ce que cette nouvelle historiographie apporte à l’histoire du Coran ? Plus de questions et de doutes que de réponses, c’est certain, mais c’est le lot de la recherche scientifique.
Si nous faisons le bilan de ce que nous savons aujourd’hui, nous pouvons dire néanmoins plusieurs choses.
D’abord, le Coran est un texte qui n’acquiert une forme proche de celle que nous connaissons qu’entre le début et la fin de la deuxième moitié du VIIe siècle.
Il y a toujours débat pour savoir si c’est sous le troisième calife Uthman ou après. Ce dont on est sûrs, toutefois, c’est qu’il n’y a eu que quelques décennies entre la mort du Prophète, en 632, et l’établissement d’un texte canonique.
Comme pour le christianisme, où quelques décennies séparent la prédication de Jésus et l’évangile de Marc.
Nous savons également que le Coran est un corpus, c’est-à-dire la réunion de textes initialement séparés, qui n’étaient pas destinés à l’origine à former un livre unique.
La tradition nous dit que la collecte du Coran ne s’est faite qu’après la mort de Mahomet, mais ce fut un travail éditorial et rédactionnel plus compliqué qu’on ne le pensait, l’analyse du texte en témoigne.
Celui-ci a souvent été retravaillé par des copistes ou des éditeurs postérieurs. Ainsi, il arrive très souvent que la même histoire soit racontée plusieurs fois, ce qui permet de voir des évolutions dans la manière de la raconter.
Ainsi, nous pouvons affirmer que les versets 8 et 9 de la sourate 55 ont été ajoutés par un auteur différent de celui de la version initiale et qui ne la comprenait pas.
De même, les fameux versets qui se contredisent sont la trace de débats et de conflits entre sensibilités différentes, ce dont témoignent de nombreuses analyses des sourates fondées sur la méthode historico-critique dans Le Coran des historiens ».
4- « L’Egyptian Exploration Society, l’organisation responsable des fouilles dans les régions de l’Égypte et du Soudan, a fait l’annonce du fragment connu sous le nom de « P. Oxy LXXXIII 5345 » sur son site internet jeudi dernier.
« Après une comparaison rigoureuse avec d’autres textes objectivement datés, la calligraphie de ce papyrus est attribuée à la fin du deuxième siècle au début du troisième siècle après JC », a déclaré la société ».
(« Un ancien manuscrit de l’Évangile de Marc datant du deuxième siècle a été découvert », i chrétien, 31 mai 2018 : http://www.ichretien.com/actualite/un-ancien-manuscrit-de-l-evangile-de-marc-datant-du-deuxieme-siecle-a-ete-decouvert-5018.html).
Pour les 2 feuillets de Birmingham contenant les sûrates 18 à 20 (il y a donc la sûrate 19) au C14 :
« Avec un degré de certitude de 95,4%, l’analyse conclut que les deux feuillets manuscrits du livre sacré ont été rédigés entre 568 et 645 de notre ère.
Or, dans la tradition islamique, Muhammad a vécu entre 570 et 632. Il est donc hautement probable que ces bribes du Coran aient été rédigées du temps du Prophète ».
« Avec un degré de certitude de 95,4%, l’analyse conclut que les deux feuillets manuscrits du livre sacré ont été rédigés entre 568 et 645 de notre ère.
Or, dans la tradition islamique, Muhammad a vécu entre 570 et 632. Il est donc hautement probable que ces bribes du Coran aient été rédigées du temps du Prophète ».
(« Birmingham Qur’an manuscript dated among the oldest in the world », University of Birmingham, 22 juillet 2015 : https://www.birmingham.ac.uk/news/latest/2015/07/quran-manuscript-22-07-15.aspx).
5- « Si ce n’est pas Mahomet, qui sont les rédacteurs du Coran ? Il est impossible de donner des noms, mais nous pouvons dresser le profil de certains auteurs.
Prenez la sourate 19, par exemple. C’est certainement un moine palestinien qui a mis sa plume au service des conquérants.
Ce texte témoigne en effet de traditions chrétiennes spécifiques à la région de Jérusalem. Les versets 1 à 33 marquent ainsi une vraie convergence entre chrétiens et musulmans.
Mais les versets 34 à 40 sont, au contraire, très hostiles aux chrétiens : c’est un travail postérieur qui veut réviser le texte ancien ».
6- Citons Jonathan Brown, Hadith: Muhammad’s Legacy in the Medieval and Modern World (2009), Harald Motzki, The Question of the Authenticity of Muslim Traditions, Hadith: origins and development (2004), Analysing Muslim Traditions: Studies in Legal, Exegetical and Maghazi Hadith (2009 puis 2012) et The Musannaf of ‘Abd al-Razzâq al-San’ânî as a source of authentic ahâdith of the first Islamic century ; Nadia Abbot, Studies in Arabic Literary papyri (1957) ; Andreas Görke et Gregor Schoeler, Reconstructing Earliest Sira Texts – the Hijra in the Corpus of Urwa b. al-Zubayr ; Fuat Sezgin, Geschichte des arabischen Schrifttums (1967) ; Gregor Schoeler, Charakter und Authentie der muslimschen Überlieferung über das Leben Mohammeds (Caractère et authenticité des textes musulmans, 1996) ; Dr. Fahad al-Houmodi, On The Common Link Theory (2006).
7- Bruno Abdelhaqq Guiderdoni (sous sa direction), Science et religion en islam : Des musulmans parlent de la science contemporaine (avec Inès Safi, Mohammed Taleb, Abdelhaqq Hamza, Eric Geoffroy et d’autres, éd. Albouraq, 2012) ; Bruno Abdelhaqq Guiderdoni (sous sa direction), Perspectives islamiques sur la science moderne – Une introduction aux débats entre science et religion (avec Inès Safi, Mohamed Tahar Bensaada, Nabila Aghanim et Rana Dajani, éd. ISESCO, 2013) ; Hamza Benaïssa, Les fondements idéologiques de l’anthropologie moderne (éd. El Maarifa, 2007) ; Hamza Benaïssa, La connaissance traditionnelle et l’épistémologie moderne (éd. Fiatlux, 2016) ; Seyyed Hossein Nasr, La religion et l’ordre de la nature (éd. Entrelacs, 2004) ; Seyyed Hossein Nasr, Sciences et savoir en islam (éd. Sindbad, 1995) ; Seyyed Hossein Nasr, L’homme face à la nature : la crise spirituelle de l’homme moderne (éd. Buchet-Chastel, 1978) ; Seyyed Hossein Nasr, La connaissance et le sacré (éd. L’Age d’Homme, 1999) ; Basil Mohammed Altaie, God, Nature, and the Cause: Essays on Islam and Science (éd. Kalam Research & Media, 2016) ; Ahmad Dallal, Islam, Science and the Challenge of History (éd. Yale University Press, 2010) et bien d’autres (dont les célèbres Muzaffar Iqbal et Mustafa Mahmûd par exemple).
8-A critique of Dan Gibson, Early Islamic Qiblas: A Survey of mosques built between 1AH/622 C.E. and 263 AH/876 C.E. (with maps, charts and photographs), 296 pp., Vancouver BC: Independent Scholars Press, 2017 ; cf. https://muslimheritage.com/pibla-back-to-qibla/).