L’autodafé du Coran par Rasmus Paludan a provoqué des réactions de condamnations dans le monde musulman. Ce qui était légitime quoique non indispensable puisque le Coran ne peut pas brûler. Les explications dans ce billet de Fouad Bahri.
Le Coran est un Livre. Mais c’est un Livre qui ne brûle pas.
Le 21 janvier, Rasmus Paludan, un militant d’extrême droite suédo-danois a pourtant brûlé, nous rapporte la presse internationale, un coran devant l’ambassade turque de Stockholm. Une action symbolique réalisée sous un important dispositif policier, sans qu’aucun débordement ne soit survenu. Venant de Rasmus Paludan, cette action n’a rien de surprenant. Le leader de la formation extrémiste Stram Kurs est un habitué de la provocation. Il insulte couramment les musulmans.
La double nature du Coran
Cet autodafé d’un coran a provoqué des réactions de condamnations un peu partout dans le monde musulman, à commencer par la Turquie, principale ambassade visée. L’université d’Al Azhar a également réagit et d’autres pays.
Le Coran est le Livre sacré des musulmans. Il est la Parole de Dieu littéralement descendue et révélée à Muhammad pour qu’il la transmette aux Hommes.
Parole et Livre, le Coran est simultanément les deux. Cette double nature transparaît dans le premier mot révélé « Iqra », qui signifie lis et récite. La double nature du Coran s’étoffe d’une complexité supplémentaire puisque le Coran descendu est la duplication d’un Livre-Mère (Oum al Kitab) conservé par Dieu. Mais ce n’est pas le sujet que nous aborderons maintenant.
Un Livre incombustible !
Le Coran peut-il brûler ? Le mushaf peut brûler oui, mais le Coran non. Qu’est-ce que le mushaf ? La collecte des feuillets où sont inscrits les sourates et versets du Coran. Le support matériel, si l’on préfère. Le Coran préexiste au mushaf. Le Coran est un Livre qui gît au fond de la Parole comme la Parole surgit dans la mer du Livre. Le Coran est donc une dialectique vivante et incessante du Verbe divin manifestée dans l’ordre humain. A ce titre, il n’est pas possible de le brûler car sa nature spirituelle échappe à toute combustion, si ce n’est celle de l’effusion divine que sa lecture procure aux amoureux d’Allah.
Le mot livre est tiré du latin liber, signifiant proprement « partie vivante de l’écorce », ce support qui servait préalablement à l’écriture. Ce sens est toujours correcte car le Livre est ce qui s’imprime (mémorisation) dans le cœur du fidèle, cette partie vivante de l’écorce humaine.
Rasmus Paludan peut donc brûler tous les mushafs qu’il voudra, il n’aura gagné qu’à faire davantage de publicité au Coran en affûtant au passage la curiosité de milliers de personnes qui céderont à la tentation de comprendre les mobiles d’un tel acte en allant le découvrir, à la source, par sa lecture.
La généalogie mortifère de l’autodafé en Europe
L’autodafé est un échec de la pensée mais plus encore de l’intelligence vivante du cœur qui lui donne vie. Brûler un Livre pour en conjurer les effets est aussi vain que vouloir allumer un incendie à la surface de l’océan en ayant recours à de l’essence. Une étincelle de folie dans un abîme d’ignorance. De l’Inquisition au nazisme, la généalogie européenne de l’autodafé est peu glorieuse. Aucun acte ne peut retomber plus négativement sur l’honneur et la réputation d’un individu que celui-là. Il suffit donc que l’extrême droite européenne se réjouisse de cette incinération factice pour que la laideur de son visage nous apparaissent tels.
L’objectif de Rasmus Paludan était de provoquer les musulmans en espérant déclencher des actes de violence qui pourraient dégénérer en une surenchère meurtrière. Le calme et l’absence de débordement qui a suivi ont été un véritable échec pour le leader populiste. De fait, rien n’est plus éloigné du Iqra « lis » coranique que cet autodafé. Le Livre n’indique-t-il pas lui-même la marche à suivre face aux provocations ? S’éloigner des ignorants et ne pas céder à leurs agissements. L’islam du rayonnement coranique (et donc prophétique) passe par ce prix-là.
Fouad Bahri