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mardi 03 décembre 2024

Le danger du mythe du choc des civilisations

La thèse du choc des civilisations, théorisée par Samuel Huntington, fonde l’arrière-plan politique des formations populistes qui la reprennent en boucle. Une thèse fallacieuse écrit Brahim Charafi sur Mizane.info, car « la civilisation est unique, indivisible et inclusive », un bien commun. Brahim Charafi est diplômé en droit public et doctorant en théologie musulmane.

Sans vouloir se lancer dans un travail anthropologique ou épistémologique voire dans un récit académique exigeant, je me contente de préluder cet article par dire que le mot civilisation est loin d’être simple et sans difficultés dans sa terminologie et dans sa définition. En effet, au XXe siècle, des pays de l’Europe orientale, Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie suivront l’exemple de l’Allemagne qui accorde la préséance au terme de culture, au détriment du mot de civilisation qui a tendance à désigner l’organisation industrielle d’une société.

En France, en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord, le mot civilisation représente l’ensemble des facteurs de vie collective d’une ethnie. Il englobe également l’aspect culturel qui se situe sur le plan des idées et des diverses formes de l’art. Face à ces multiples complications terminologiques touchant les civilisations, se dresse une civilisation avec ses effets de planification et de transformation à l’échelle planétaire*.

La construction de l’ennemi

Le Choc des civilisations, tel était l’intitulé du livre-événement apparu et publié en 1997 par Samuel Huntington (éditions Odile Jacob). L’auteur y développait l’idée qu’à l’affrontement Est-Ouest (ancien monde bipolaire) allaient succéder de nouveaux clivages, fondés, cette fois-ci, sur l’opposition entre les grandes civilisations. Cette thèse a justifié, après le 11 septembre 2001, l’offensif et la guerre au terrorisme lancée par l’Administration américaine.

Elle a semblé recevoir, dans la réactivation de l’islam activiste à l’aube du XXIe siècle, une confirmation éclatante. Or, le mot terrorisme n’a jamais été défini ni précisé. Il est resté, jusqu’à présent, ambiguë, malléable et polyforme. Cette « prophétie » a conduit les adeptes de cette thèse à considérer tout musulman comme terroriste jusqu’à la preuve du contraire. C’est une des facettes de cette civilisation qui a pour vocation, selon ces mêmes adeptes, de combattre le nouvel ennemi tout bonnement trouvé à savoir l’islam et les musulmans.

Il faut reconnaitre avec aisance que certaines mouvances ont contribué à cette guerre par leur ignorance et servitude volontaire, par leur lecture erronée et par leur interprétation falsifiée des textes religieux au nom du sacré.

Peut-on conjuguer la civilisation au pluriel ?

Pour Samuel P. Huntington, les peuples se regroupent désormais en fonction de leurs affinités culturelles. Autrement, les frontières politiques comptent moins que les barrières religieuses, ethniques, intellectuelles. Au conflit entre les blocs idéologiques de naguère succède le choc des civilisations.

Selon Huntington, l’Occident a produit une civilisation propre à lui en dehors des autres mondes. Cette approche qui demeure fantaisiste si ce n’est pas ambitieuse accepte que la civilisation moderne soit le produit de l’intelligentsia occidentale à qui revient l’honneur d’éclairer le chemin des autres peuples y compris musulmans.

Il s’agit là d’une vision suprématiste décoré par un sentiment d’orgueil et de prétention intellectuelle. Brahim Charafi

En revanche, ce qui doit être rappelé, ici, rationnellement et empiriquement, c’est que La civilisation n’est autre résultat que celui de ce qu’a produit l’activité humaine, l’humanité toute entière. Tous les éléments de notre civilisation moderne sont le fruit de l’intelligence à la fois collégiale et cumulative.

D’abord, Collégiale, du fait qu’elle a été façonnée par nous tous sans exception abstraction faite de la géographie et du statut social. Le simple producteur, Le simple paysan, le grand patron d’une multinationale, l’ingénieur de la Silicon vallée, le chômeur, le retraité, le malade, le fou, le rabbin, le prêtre, l’imam… Tous contribuent à cette civilisation singulière et au singulier.

Nos smartphones, nos robots, entre autres, ne seraient pas aussi performants, aussi accessibles, aussi efficaces aussi esthétiques sans la contribution du mathématicien, du publiciste, du financier, de l’économiste, de l’ingénieur, de l’ergonome, du chômeur du retraité…

Tous, en même temps, contributifs à cette civilisation que l’on voit matérialisé devant nous et personne ne peut prétendre détenir ou avoir l’apanage de cette civilisation à lui seule. C’est notre bien commun à tous et nous devons nous nous méfier de ceux qui veulent la prendre en otage et en exclure les autres : c’est un bien COMMUN.

Enfin, cumulative, du fait que ce qui se manifeste devant nous aujourd’hui fut une pensée de quelqu’un auparavant. Nous sommes de nos œuvres sur les traces et dans le même continuum de ce que les femmes et les hommes d’antan ont pensé, réfléchi, planifié voire exécuté à bien des égards.

Les smartphones, les applications, et toute l’intelligence artificielle, ne pourrait nous fasciner et séduire en dehors de l’intelligence du mathématicien musulman, l’ingénieur indien, l’efficacité du chinois, les fonds arabes, la rigueur de l’européen, le philosophe grec, l’aventurier viking etc. Nous exploitons, in fine, la somme de ce qui a été initié auparavant par les anciens et dont on tire profit et en même temps on perfectionne afin de léguer cette civilisation aux générations futures.

La manipulation d’un concept

Nous disons à ceux et celles qui agitent, à dessein, ce slogan le « choc des civilisations » sachez la civilisation est unique, indivisible et inclusive. Cela, concerne particulièrement, l’extrême droite et plus précisément le polémiste, Éric Zemmour, candidat aux élections présidentielles françaises.

En effet, contrairement à ce qu’il prétend, faussement et habilement, il n’y a pas de civilisation exclusivement européenne ou française mais une civilisation humaine commune à tous qui donne place à la diversité et la coexistence de l’autre comme contributeur à ce projet de l’humanité.

La civilisation n’est pas monocolore et elle n’est pas non plus uniforme. Aucune civilisation ne remplace l’autre car ni historiquement ni empiriquement cela n’a jamais été possible.

En France, ce qui s’incarne comme étant la civilisation française n’est que la continuité de ce qui a été forgé par les anciens et par autrui. Le français, en tant que langue n’est qu’une langue romane. Issu de l’évolution du bas latin et du latin vulgaire vers le gallo-roman au cours du premier millénaire de l’ère chrétienne, le français, langue royale, devient une langue juridique et administrative avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539. C’est le produit d’un processus.

Le code civil français est né de la rencontre de Napoléon Bonaparte avec le monde musulman lors de son excursion en Egypte à Alexandrie (lisez les livres traitant de cette période). Le christianisme en France n’est que le résultat de l’évangélisation des Gaules au IIe siècle. Le nom Éric vient de la culture nordique et il n’est ni gaulois, ni français, ni romain.

La culture n’est pas civilisation

Toutefois, à contrario, les cultures sont différentes, divisibles et sont appelées à se régénérer, se transformer, à évoluer ou décliner… Dans chaque pays il y a plusieurs identités. Des identités forgées matériellement et auxquelles on adhère psychologiquement.

La civilisation s’offre à chaque génération. Elle est construction permanente et a corrélation directe avec l’histoire en progrès et réalisation. Elle est sans cesse en recomposition, en vue d’interpréter le passé à la lumière de nouvelles recherches sur la condition humaine. C’est à l’image de la vie de l’individu qui reprend son passé, immédiat ou éloigné, c’est à-dire selon un rythme rapide ou lent, pour employer une expression de Fernand Braudel.

Brahim Charafi

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