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mardi 03 décembre 2024

Le télescope James Webb et l’esthétique coranique du cosmos 1/2

Les récentes images extraordinaire fournies par le télescope James Webb soulignent à quel point notre regard sur le monde détermine une esthétique portée vers la Transcendance et la Grandeur de sa Source ou vers l’insouciante cécité d’une vision matérielle. Une nouvelle chronique d’Ahmad Kanté, imam, essayiste et conférencier en deux parties, sur Mizane.info.

Il y a cinq ans, nous avons publié un article sous l’intitulé « Coran et expérience esthétique de la nature ». Les publications récentes d’images époustouflantes du télescope James Webb[1] qui sont le résultat d’une vingtaine d’années de travail scientifique nous ont poussé à reprendre et actualiser cet article.

Dans cette optique, il est question d’examiner la façon dont le Coran s’y prend pour stimuler chez l’humain, une application réflexive du regard et une envie de comprendre ce qui fait l’harmonie, l’unité et le beau de l’univers. A ce sujet, voici des versets incontournables et à la lecture desquels, on ne finit pas de s’étonner de la pédagogie dont le Coran fait montre pour éduquer notre jugement esthétique :

« Certes Nous avons placé dans le ciel des constellations et Nous l’avons embelli pour ceux qui regardent. » (Coran 15 : 16)

«Votre Dieu est en vérité unique, le Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux et Seigneur des Levants. Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un décor : les étoiles. Afin de le protéger contre tout diable rebelle. (Coran 37 : 4-7)

« Il décréta d’en faire sept cieux en deux jours et révéla à chaque ciel sa fonction. Et Nous avons décoré le ciel le plus proche de lampes [étoiles] et l’avons protégé. Tel est l’Ordre établi par le Puissant, l’Omniscient. » (Coran 41 : 12)

«N’ont-ils donc pas observé le ciel au-dessus d’eux, comment Nous l’avons édifié et embelli ; et comment il est sans faille aucune ? » (Coran, 50 : 6)

« Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies une quelconque disharmonie dans la création du Tout Miséricordieux. Lève à nouveau les yeux, y vois-tu une quelconque faille ? Puis, retourne ton regard à deux fois : le regard te reviendra las et frustré. Nous avons effectivement embelli le ciel le plus proche avec des lampes [des étoiles] dont Nous avons fait des projectiles pour lapider les diables et Nous leur avons préparé le châtiment de la Fournaise. » (Coran 67 : 3-5)

« Quand le ciel se rompra, et que les étoiles se disperseront, et que les mers confondront leurs eaux » (Coran, 82 : 1-3)

« Quand le ciel se déchirera et obéira à son Seigneur – et fera ce qu’il doit faire » (Coran, 84 : 1-2) ;

Réflexions sur la notion de Tafâwut

Le troisième verset de la sourate 67 mentionne la notion de création de sept (7) cieux en les caractérisant de « tibâqan » (superposés). Faut-il comprendre par ce terme que les sept cieux (7) sont des entités distinctes régies par des lois qui leur sont propres ? C’est ce que semble dire le verset 12 de la sourate 41.

De plus, se pose la question de la compréhension pas évidente de la notion de superposition parlant de cieux et de la notion de ciel[2] même. Et justement, le télescope « James Webb » pourrait nous livrer des informations clés sur les représentations du Cosmos. Il est donc justifié de faire preuve de prudence pour ne sombrer ni dans le concordisme naïf ni dans l’Anti-science.

L’observateur humain qui est interpellé par ce verset se voit donner l’information qu’il y a sept (7) cieux superposés, pas un seul, sans qu’il puisse y déceler une quelconque disharmonie. Ce terme (disharmonie) est la traduction provisoire que nous proposons de celui coranique de « Tafâwut ».

Dans une première étape, il est fait mention du voir spontané, inné, banal et habituel associé à une affirmation du constat de l’absence de «Tafâwut ». C’est donc l’impossibilité pour l’observateur humain de voir un « Tafâwut » dans les sept (7) cieux que le Coran pose comme un défi. Ce terme est capital dans l’analyse esthétique qui nous préoccupe. En effet, les « milles » synonymes que le dictionnaire donne du mot « Tafâwut » renvoient aux notions de disproportion, d’irrégularité, de quelque chose qui dépasse, de divergence, etc.

Pour avoir une compréhension la plus près possible de ce terme coranique, il faut garder à l’esprit que le premier interpellé par ce verset a été l’arabe bédouin vivant à l’époque de la révélation du Coran. Pour ce dernier, le terme coranique de « Tafâwut » n’a de sens que selon les usages que sa communauté en fait. De cela, il découle que le traducteur prudent évite de recourir à des termes trop marqués par la langue de la modernité notamment scientifique.

Dans sa communauté traditionnelle, l’arabe bédouin qui entend le terme de « Tafâwut » mentionné dans le verset en question pense tout de suite à quelque chose qui manque, qui fait défaut, qui dépasse, qui n’est pas à sa place, qui ne concorde pas, qui ne converge pas, etc. Bref, la compréhension première et simple que cet arabe bédouin du 7e siècle a de ce verset est que sa communauté est en état de concorde et de cohésion quand chaque membre est « à sa place ».

A ce premier auditeur du Coran, il est tout simplement demandé de constater que tout est à sa place dans le tout du ciel. D’où, il vient qu’une traduction heureuse du terme coranique de « Tafâwut » serait, entre autres : disharmonie.

L’esthétique eschatologique de la création

Dans une deuxième étape, le Coran l’interpelle et nous interpelle : «Lève à nouveau les yeux, y vois-tu une quelconque faille ?  ». Arrêtons nous à présent sur le terme coranique « Futûr » traduit ici provisoirement par faille dans la même optique que ce qui a été dit relativement au terme coranique « Tafâwut ».

Là aussi, il sied de comprendre que l’arabe bédouin contemporain de la descente du Coran, se représente le terme coranique de « Futûr » à travers ce qui matérialise un manque de cohésion, une fissure, une faille, une fente, etc., entre les parties d’un tout.

Le terme « quelconque » mentionné dans cette traduction est bienvenu et approprié car le mot « futûrin » marque comme le montre son Tanwîn, la forme indéfinie (nakirah) en grammaire arabe et par conséquent indique une faille quelle qu’elle soit.

Ce sens est corroboré par le verset suivant : «N’ont-ils donc pas observé le ciel au-dessus d’eux, comment Nous l’avons édifié et embelli ; et comment il est sans faille aucune ? » (Coran, 50 : 6) ;

L’observateur est invité à ne pas se limiter au mouvement habituel de lever les yeux et vers le ciel et à les faire redescendre et à ne pas se contenter d’un voir furtif, routinier, indifférent et nonchalant. Le lecteur ou l’auditeur qui fait l’option de répondre applique alors attentivement son regard sur le ciel.

Contrairement au premier contact sensoriel qui est un « voir », l’observateur évolue vers ce qui est attendu de lui, à savoir, sortir de la passivité pour mettre en branle activement sa faculté réflexive et sa capacité cognitive.

Il découle logiquement de l’argument d’absence de disharmonie et de fissures dans l’univers, que s’il n’y a pas effondrement et chaos c’est que tout se tient non pas par hasard mais par l’action créatrice et l’ordonnancement minutieux qui révèlent la Toute puissance et l’Omniscience du seul Être nécessairement existant, Dieu.

Le Coran énonce donc que l’organe de la vue n’apprend pas de son propre chef à bien regarder. De plus, la règle exégétique « Le Coran explique le Coran » permet de se rendre compte de l’apport des expressions mentionnées plus haut « et comment il est sans faille aucune ? » (Coran 50 : 6) ; « Quand le ciel se déchirera » (Coran 84 : 1) ; « Quand le ciel se rompra, et que les étoiles se disperseront » (Coran 82 : 1).

En effet, toutes, si on met de côté leur contenu eschatologique, renvoient à des notions contraires à la soudure et à l’unité. Le but étant de pousser le récepteur de ces versets à s’interroger sur ce qui explique que tout se tienne dans le ciel si harmonieusement, si solidairement et si bellement.

En d’autres termes, l’éducation esthétique inspirée du Coran procède par une pédagogie universelle puisque basée sur ce que tout le monde partage le plus : l’observation et la réflexion. Le but est de susciter chez l’être humain un souci esthétique, et même au-delà, une tentative de décryptage des signes que sont l’harmonie et l’unité de la nature. Ces images du télescope James Webb qui donnent le frisson contribuent à la satisfaction de cette préoccupation toute humaine.

Par le truchement ou la médiation du regard, le Coran invite à un exercice cognitif approfondi sur ce phénomène de l’absence de disharmonie et de « fissures » dans ce « tout » cosmique. L’autre étape est une invitation à répéter le regard à deux (2) reprises tout en y associant une anticipation quant au résultat de l’exercice : constat de l’inexistence de « Futûr » donc de faille.

En effet, le Coran anticipe pour dire que libre à quiconque de travailler sur l’hypothèse inverse d’un cosmos en dysharmonie et en dispersion mais qu’au bout du compte, le résultat sera la lassitude et la déception de ne pouvoir la confirmer. Là aussi, il semble que la traduction assez répandue de « regard qui revient humilié » du verset 4 de la sourate 67 soit sujette à caution. Il y a plutôt ici le sens de lassitude à chercher ce qui n’existe pas.

La Compassion du Très-Haut

Il découle de ce verset, un des plus captivants du Coran en termes de raisonnement ou d’interpellation à connotation esthétique, qu’on peut sortir, et il est souhaitable de le faire, du rapport instrumental à la nature en se posant ces questions que la guidance coranique nous suggère : pourquoi y a-t-il de l’harmonie, de l’unité et du beau plutôt que le contraire ?

Dans le premier verset, le nom du tout Miséricordieux (Ar Rahmân) associé à la création indique que l’harmonie, la beauté et l’unité de l’univers sont le reflet ou l’émanation de Sa Bienveillante compassion qui sous-tend ce cosmos qui est création et réservoir de signes « âyât, pluriel de âya ». Tout être humain peut s’approprier de ce questionnement esthétique vu qu’il n’a pas besoin d’autre chose que de lui-même, ses organes et son esprit pour y arriver.

Voilà comment expliquer l’universalité du message coranique par le truchement de la dimension esthétique de notre humaine nature. Il ne s’agit ni d’une démarche superstitieuse, ni d’arguments circulaires, ni de mimétisme ni de répétition aveugle de ce que les ancêtres ont pensé ou dit. N’importe qui levant les yeux un soir pour scruter le ciel étoilé est à même de faire ce raisonnement d’une simplicité universelle.

Il découle logiquement de l’argument d’absence de disharmonie et de fissures dans l’univers, que s’il n’y a pas effondrement et chaos c’est que tout se tient non pas par hasard mais par l’action créatrice et l’ordonnancement minutieux qui révèlent la Toute puissance et l’Omniscience du seul Être nécessairement existant, Dieu.

Ahmad Kanté

Notes :

[1] Télescope spatial le plus puissant jamais construit. Fruit d’une collaboration internationale entre la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) et l’Agence spatiale canadienne (ASC), il est utilisé par des astronomes du monde entier. Situé à 1, 5 million de km de la terre, ses premières images ont été publiées le 11 juillet 2022  suite à son lancement le 25 décembre 2021.

[2] Le concordisme a conduit certains à penser que les sept cieux correspondaient aux 7 couches de l’atmosphère. Mais ce que disent les références comme (Coran 15 : 16 ; Coran 37 : 4-7 ; Coran 41 : 12 ) ne sont pas compatibles avec une notion coranique de ciel qui serait réduite aux couches de l’atmosphère.

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