Quelle est la place du voisin dans la tradition musulmane ? Quelle vision sociale de l’altérité exprime-t-elle ? Educateur spécialisé, formateur, diplômé de l’Institut Najah et étudiant à la Faculté des Sciences Islamiques de Paris, Aïssa Ounane aborde d’un point de vue éthique et pragmatique ces questions dans une chronique publiée par Mizane.info.
Les sciences islamiques sont trop souvent déconsidérées. Pourtant, nous pouvons très largement les positionner au même rang que les sciences de l’éducation, de par la rectitude et les trésors qu’elles détiennent.
Ainsi, je vais mettre en valeur une parole du Prophète (sur lui la paix), décrite, étudiée, approfondie, dans une démarche scientifique.
Cette mise en écriture, convaincra probablement les musulmans, quelle que soit leur zone géographique, de choisir d’apprendre l’islam dans un cadre d’étude, à la lumière de la connaissance savante, ancienne et contemporaine, sans manipulation, sans accaparation.
Le Prophète (sws) dit dans un hadith dont le célèbre rapporteur est l’imam Al Boukhari : « Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin ».
Comment cerner cette parole Prophétique ? Faut-il la comprendre d’une manière littérale ou dans un sens plus approfondi ?
Ce hadith très compréhensible en apparence, ne pourrait-il pas, si nous lui consacrons un temps d’étude et d’analyse, changer l’état du monde musulman, et faire rejaillir des pratiques nobles ?
En observant cette parole, deux niveaux de compréhension s’offrent à nous :
– Le premier : avoir compris que le musulman doit manifester intérieurement et extérieurement une crainte révérencielle de Dieu et ne pas nuire à son voisin.
– Le deuxième : rechercher des compréhensions plus larges en développant des argumentions en rapport avec les valeurs de l’islam.
Sur ce second point, nous déclarons que l’islam ne peut se limiter à un cadre figé et privé de profondeur et que le Prophète est un être de lumière et d’une humanité sublime que nous devons, en tant que musulman, suivre au-delà de ses aspects extérieurs.
De plus, accéder à ses paroles est un processus qui s’acquière par le soutien de savants dans le cadre d’un apprentissage structuré de l’islam.
Les musulmans partout dans le monde, ne doivent-ils pas apprendre leur religion au sein d’Instituts islamiques ouverts à la transdisciplinarité, aux débats, pour pouvoir la comprendre réellement ?
Le manque d’apprentissage de la religion nous fait appliquer l’islam trop souvent dans son aspect restrictif : (halal, haram) en bannissant la dimension spirituelle qui n’appartient d’ailleurs à aucun courant (le soufisme par exemple), mais a toutes les sensibilités de l’islam.
Nous surfons chaque jour sur les réseaux sociaux ce qui provoque une insuffisance, voir une rupture en termes de compréhension de la religion.
Les voisins sont partout
L’importance de comprendre une parole du Prophète prend ici un sens fondamental.
Lorsqu’il affirme : « Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin », il faut comprendre le « voisin » d’une manière universelle et non pas restreinte.
Le voisin n’est pas uniquement notre « voisin de palier », ni celui qui vit à proximité de notre lieu d’habitation. L’ensemble des personnes que nous croisons ou que nous côtoyons sont des voisins.
En effet, lorsque nous sommes à l’université, en cours, à l’école, il y a toujours un voisin proche de nous.
Quand nous nous situons dans une voiture à côté d’un passager, nous sommes en présence d’un voisin.
Lorsque dans une situation professionnelle, une personne partage un même bureau, c’est également notre voisin.
Les discussions, même en distanciel, nous amènent à être aussi des voisins, c’est-à-dire, des êtres qui sont tenus par une logique de fraternité et qui se respectent.
De même, le mari et la femme ne sont pas uniquement des époux mais des voisins, car ils vivent ensemble.
Nous devons ainsi prendre soin des uns et des autres dans toutes les circonstances de notre vie puisque le Prophète (paix et salut sur lui) nous enseigne : « Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin ».
Nous ne sommes pas ici dans un monde féerique, plein de rêveries et de balbutiements, mais dans le monde du travail intérieur, transformateur, plausible, dès lors que chaque musulman fait le choix d’honorer la parole réformatrice du Prophète.
Mais la vraie question, au-delà d’une signification plurielle, est celle de savoir si les musulmans honorent concrètement leurs voisins au sens où nous l’entendons ici ?
Au regard de comportements souvent épidermiques, émotifs, et parfois troublants, nous sommes en droit d’interroger le rapport que les musulmans entretiennent avec leur religion.
Le décalage entre le Prophète et les musulmans lié à un manque d’apprentissage structuré de la religion
« Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin »
Le hadith du voisin est précis, instructif, décisif et il révèle la beauté de l’islam que l’on ne peut qu’admirer et appliquer !
Mais les musulmans, faute de vouloir ou de pouvoir étudier ces disciplines, ne bénéficient pas vraiment de connaissances pour comprendre et mettre en pratique l’islam en substance.
On observe qu’ils se font parfois du tort, agissent avec méchanceté, pratiquent la corruption, le vice, et comprennent leur religion parfois d’une manière rude, utilisant des postures de condescendance, des stratégies malsaines, et ne vivant pas véritablement en épousant les vraies valeurs de l’islam (miséricorde, douceur, empathie, tolérance, générosité…).
Pourquoi rejetons-nous trop souvent nos responsabilités sur autrui ou sur les sociétés, de manière exagérée, en leurs reprochant de nous déconsidérer, malmener, même si nos mécontentements sont parfois légitimes ?
Les problèmes politiques et sociétaux ne sont pas « les seuls fautifs » de nos comportements individuels. Nous perdons surtout de vue notre propre responsabilité religieuse et personnelle.
Le hadith du voisin nous rappelle que le musulman doit travailler avant tout sa relation envers lui-même et envers Dieu. C’est à cause de ces lacunes que nous n’observons pas de comportements lumineux qui se répandent sur les familles, les individus, le monde…
Le hadith du voisin nous aide à revenir à la raison
Lorsque le Prophète mentionne : « Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin », on peut entendre également : qu’il ne fasse pas de mal à son cousin, à son oncle, à sa tante, à sa mère, à son père, à sa fille, à son fils, aux non musulmans, aux musulmans, aux chrétiens, aux juifs, aux bouddhistes, aux athées, aux animaux, à la planète…
Dans chaque situation quotidienne, nous comprenons que, tout proche de nous, se trouve un voisin.
Nous devons lui offrir notre bienveillance, peu importe son origine, sa couleur de peau ou ses conceptions de vie.
Le hadith du Prophète nous indique que le musulman est un être pudique, juste, pacifique et réconciliateur.
« Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin. »
À celui à qui nous avons causé du tort, sachons qu’il n’est pas trop tard pour lui demander pardon tout en implorant celui de Dieu.
Le Coran rappelle plusieurs fois que « Dieu (Allah) est certes le Pardonneur, le Très-Miséricordieux. »
Nous devons également être miséricordieux au regard des erreurs que nous avons pu commettre dans notre vie car Le voisin n’est pas seulement autrui, mais nous-mêmes !
Comment prendre soin des autres alors que nous nous négligeons ?
Notre cœur, notre corps, notre esprit sont nos voisins !
On comprend à quel point le hadith du Prophète nous invite à une triple purification intérieure : cœur, esprit, corps, et que l’étude des sciences islamiques facilite ce processus.
« Celui qui croit véritablement en Dieu et au jour dernier, qu’il ne fasse pas de mal à son voisin. »
Si, à chaque instant, nous avons conscience que nous sommes à proximité d’une personne, (peu importe la modalité) il nous deviendra impossible de faire du mal à quiconque. N’oublions pas que notre voisin est avant tout un être humain, une créature vivante, il peut être un proche, une personne que nous aimons, une personne qui nous a blessé, une autre qui nous a déçu.
Si nous faisons le choix dès aujourd’hui, de nous lever, et de marcher au côté de la parole du Messager de Dieu, Mohammed (sur lui la paix), avec sens et conviction, nous mettrons fin aux insultes, à la médisance, à l’orgueil, et à toutes les calamités du quotidien !
Le refus d’étudier les sciences islamiques
Nos difficultés à appliquer le Hadith en question s’explique par plusieurs raisons.
Parce que nous refusons généralement d’étudier les Sciences islamiques.
Cette négligence nous prive d’une compréhension approfondie et globale de l’islam.
Nous croyons par exemple, que le voisin est simplement celui qui vit juste à côté de chez nous, et qu’il n’englobe pas l’ensemble des interactions qui se déroulent dans la vie.
La religion semble être vécue par les musulmans d’une manière routinière : prière, jeûner, manger hallal, et elle est plus rarement comprise dans ses intentions.
L’étudier au travers d’une formation permet de réinterroger son rapport aux hadiths et au coran.
Ne faisons-nous pas partis, musulmans et musulmanes de la communauté : « Iqra » ?
Souvent, nous déshonorons ce noble impératif qui se traduit par un rejet de la lecture et de l’apprentissage de notre religion.
Une deuxième raison connue qui ne permet pas aux musulmans d’appliquer les valeurs de l’islam, est liée à une codification théorique.
Effectivement, nous connaissons, rappelons les principes de notre religion, mais en même temps, nous en sommes éloignés au niveau de la pratique.
Cette réalité a un impact considérable au sein de notre vie quotidienne et sur différentes échelles : sociale, intellectuelle, religieuse, professionnelle.
Les musulmans actuels ne sont plus les intellectuels des siècles derniers, ce n’est pas une erreur de le rappeler.
L’esprit dominé par des valeurs strictement matérielles et superficielles est contraire à la beauté intérieure du Prophète et d’un grand nombre d’hommes et de femmes qui crient, à partir de leurs sensibilités leur besoin d’humanité.
Si nous rejetons l’étude de notre religion, de manière directe ou indirecte, nous sommes ou serons de plus en plus influencés, secoués, et plus facilement dirigés par des logiques du paraître dominées par la cupidité, et nous prendrons le risque de comprendre l’islam de travers, en l’apprenant d’une manière dés-harmonisé, et en le pratiquant de façon abrupte.
Dieu soit loué (al hamdoulillah), l’islam n’est cependant pas vidé de sa substance fédératrice compte tenu du travail au quotidien des enseignants, des docteurs et des cheikhs.
Mais il est vrai que la prise d’initiative sur le plan rédactionnel des étudiants et des étudiantes en sciences islamiques est très rare.
Je les invite à écrire avec force, subtilité, humanité, en respectant leur sensibilité, sans basculer dans un rôle, mais en ayant l’intention et la rigueur d’être humblement au service des musulmans et de tous les êtres humains, frères et sœurs universels !
Aïssa Ounane
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