Photo de la mosquée Al Mouhsinine d’Amiens.
Imam de la mosquée de Nice, Abdelkader Sadouni est un acteur confessionnel engagé depuis 20 ans au niveau local. Dans une tribune que publie Mizane.info, il tire un bilan de son expérience et ouvre une réflexion sur les conditions d’une intégration institutionnelle de l’islam en France.
La France et l’islam ont une longue histoire commune, avec des moments d’échange économique, de partage scientifique, mais aussi de conquête de guerre, ou encore de rapport belliqueux.
A chaque époque sa particularité, à chaque époque son histoire et ses rapports.
Aujourd’hui en France, les musulmans représentent une part de la communauté nationale, les rapports de ce fait sont totalement modifiés, et bouleversés, de part cette double appartenance : nationale, et religieuse.
La France est aujourd’hui un pays laïc, dotée d’une laïcité toute particulière, qui représente un des socles essentiels de la structure nationale, une laïcité née de conflits parfois extrêmement violents.
La loi de 1905 est née aux forceps, l’église a été en quelque sorte la première « victime » de cette loi, qui lui retira tous ses pouvoirs, il est vrai, mal utilisés en son temps.
Le roi Louis XVI, ne l’oublions pas, qui était selon la compréhension de son époque le prolongement du droit divin sur terre, a été guillotiné, l’église décapitée, la religion écartée du pouvoir, les religieux renvoyés dans leurs couvents et monastères, et leurs églises, devenues propriété exclusive de l’état nouvellement né.
Ainsi est née la République Française laïque.
L’islam de France doit se structurer d’un point de vue organisationnel mais surtout idéologique, afin de véhiculer et de pratiquer un islam adapté au contexte français et à ses particularités, et non pas influencé en fonction d’intérêts ou d’idéologies étrangères.
Avec le temps, les religions se sont adaptées à ce nouveau contexte, à cette nouvelle gestion des cultes.
A la fin des guerres d’indépendance qui ont suivies la colonisation française, notamment du Maghreb, de nombreux musulmans ont décidé, face aux difficultés laissées en héritage suite au départ de la France, de partir tenter leur chance sur le territoire national.
De nombreux musulmans allaient devenir sans le savoir de nouveaux citoyens français, et lancer les premiers jalons de l’installation d’une nouvelle religion appelée à se pérenniser de par leur présence sur le territoire français.
Cette présence n’eut de cesse de s’amplifier. Face au besoin de mains d’œuvres conciliantes, des familles se composèrent, des structures religieuses s’installèrent, les premiers balbutiements de l’islam de France apparaissaient.
Les mosquées se sont multipliés, un besoin pressant s’est fait ressentir, l’islam de France est face à un défi indéniable, et d’une importance vitale pour sa pérennisation : les musulmans de France doivent se structurer, et adopter une vision éclairée de leur présence en France.
De par mon expérience depuis plus de vingt années sur la scène islamique française et niçoise plus précisément, je pense qu’il est nécessaire de s’arrêter un instant afin de méditer et réfléchir sur notre situation qui avec le temps s’est compliquée.
La nécessité d’une vision islamique commune
Nous sommes aujourd’hui face à d’immenses défis, l’islam n’est pas une religion de passage mais au contraire elle a vocation à s’installer et à se pérenniser.
J’étais dernièrement en discussion avec un ami rabbin qui a eu l’amabilité de me recevoir dans sa synagogue afin que nous échangions sur divers sujets et notamment sur la relation judéo-islamique.
Lui faisant part de nos difficultés à trouver des locaux adéquats pour l’accueil de nos nombreux fidèles, nombre qui ne cesse d’augmenter chaque année, il me dit « mais pourquoi vous ne louez-vous pas ? »
Je lui répondis que la location n’était pas une solution, nous voulions nous installer et non pas vivre une situation de précarité.
Nous avons vocation nous autres musulmans à rester car nous nous inscrivons dans un projet d’installation définitive, l’islam est une religion qui fait sa place.
Si nous voulons exister dans la société française, avec une identité musulmane affirmée il va falloir alors travailler en ce sens, et adopter une éthique en conséquence.
Le premier chantier sur lequel il va falloir s’attacher à mon sens, est l’adoption d’une vision islamique commune pour chacun.
Nous ne pouvons plus évoluer dans un paysage islamique multiple, qui sème en réalité incompréhension, division, et danger quand à la pérennisation du culte musulman en France.
Chaque pays musulman adhère à une des écoles juridiques reconnues, à savoir les écoles hanafite, malikite, chafi’ite et enfin hanbalite, mais aussi à une des deux écoles de croyance que représentent l’ach’arisme et le maturudisme, des courants religieux représentatifs d’un islam historique, authentique qui ont traversé les siècles et les générations.
Mettre un terme à l’anarchie et à la gestion consulaire
Ce travail doit commencer dés le plus jeune âge, par la gestion des écoles religieuses qui échappent à tous contrôle.
L’anarchie règne dans le milieu de l’enseignement religieux, les différentes structures reconnues ont le devoir de plancher sur un programme d’enseignement de l’islam au niveau national, nous devons absolument répandre une vision commune en conformité avec notre contexte local, le pluralisme des idéologies enseignées provoquant une diversité des avis qui s’entrechoquent et s’opposent.
Les influences idéologiques et politiques étrangères ne sont plus souhaitables.
L’islam de France doit se structurer d’un point de vue organisationnel mais surtout idéologique, afin de véhiculer et de pratiquer un islam adapté au contexte français et à ses particularités, et non pas influencé en fonction d’intérêts ou d’idéologies étrangères.
Il est temps de redonner confiance à la communauté musulmane en ses instances représentatives.
Les associations musulmanes pour leur grande majorité n’accordent qu’une place symbolique à la démocratisation de leur fonctionnement, la plupart d’entre elles s’activent avec le même mode de gestion depuis de nombreuses années et avec le même personnel.
Aujourd’hui de nombreux cadres religieux sont dépassés par les changements incessants et rapides de la société.
Les musulmans des années 90 ne sont pas ceux des années 2000 et encore moins de 2020.
Le défi de la représentativité
La société évolue, les modes de communications aussi, mais les structures musulmanes sont dans un état de sclérose extrême !
Ceci a pour conséquence de laisser en marge de nombreux talents, nés et formés en France qui malheureusement sont que très rarement intégrés dans les processus de responsabilité et de décision.
Un fossé infranchissable se creuse entre cette jeunesse qui tape à une porte qui reste inlassablement fermée n’ayant d’autre solution que d’ouvrir leurs propres structures, qui généralement se confrontent à celles existantes.
D’où l’importance d’injecter une grande dose de démocratisation dans nos structures et ainsi permettre un roulement des compétences en corrélation avec le temps et les gens.
Nous assistons aujourd’hui à une course à la représentativité, souvent dénuée de toute éthique islamique ou tout simplement humaine.
La représentativité n’est pas en soit un privilège mais une responsabilité.
Mais doit-on parler réellement de représentativité ?
Parler de représentativité des musulmans de France consiste en réalité à en faire des citoyens à part, seuls les élus sont habilités à jouir de ce qualificatif et ont la charge de représenter tous les citoyens français sans considération religieuse ou d’origine.
Les représentants du culte musulman sont en charge de l’aspect cultuel qui doit être pour sa part dénué de toutes implications ou influences politiques intérieures et extérieures.
Si nous menons à bien ces différents chantiers, les luttes contre le radicalisme ne seront plus qu’un vieux et lointain souvenir, le radicalisme étant le produit de l’ignorance, de la déstructuration de l’islam, et de l’amateurisme qui en découle.
Nous avons l’obligation de faire émerger une représentation du culte musulman unique, à travers des élections claires et transparentes, ceci afin d’aboutir à une structuration fiable et solide de l’islam de France.
La base de cette réussite est la légitimité, et celle-ci ne sera atteinte que si les musulmans ou les responsables musulmans eux-mêmes élisent et choisissent démocratiquement leurs représentants.
L’imam, pierre angulaire de la réforme
Les imams qui sont en réalité la pierre angulaire d’une intégration réussie de l’islam en France, ont le rôle le plus ingrat.
Mal formés, mal payés, mal considérés, ils sont souvent le premier fusible à sauter en cas de conflit interne.
Ils ont besoin de beaucoup plus de considération. Il est obligatoire aujourd’hui d’aboutir à un statut officiel de l’imam en France, à travers une reconnaissance interne mais aussi civile.
De nos jours, la plupart des imams sont bénévoles, doivent jongler entre leur vie de famille, leurs occupations mondaines, et leur rôle d’imam qui en réalité en pâtit par manque de moyens et de temps.
Si nous souhaitons un islam intégré et intègre alors nous devons avoir des imams formés, parfaitement connaisseurs de la langue de Molière, mais aussi du contexte français et de sa culture.
Voilà à mon sens les trois fondamentaux essentiels que doit détenir l’imam au risque d’être un imam inefficace et déconnecté des réalités françaises !
L’Etat doit prendre ses responsabilités concernant ce dossier et accompagner les structures de formation d’imam en France existantes.
La formation d’imam doit aboutir à une professionnalisation de l’imamat reconnu et rémunéré à sa juste valeur.
Si nous menons à bien ces différents chantiers, les luttes contre le radicalisme ne seront plus qu’un vieux et lointain souvenir, le radicalisme étant le produit de l’ignorance, de la déstructuration de l’islam, et de l’amateurisme qui en découle.
Un renouvellement de nos structures avec plus de professionnalisme, de démocratie interne aboutira surement à un islam qui s’installera et se pérennisera en France sans difficultés majeures.
Abdelkader Sadouni
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