En France, le réseau évangélique concentre ses efforts sur la « conversion » des musulmans. Un phénomène en hausse accentué par certaines associations catholiques qui tentent aussi leur chance. Zoom.
En France, toutes les religions ne sont pas logées à la même enseigne. Le cas du prosélytisme l’illustre bien. Souvent incriminés pour leur action de prédication appelée da’wa, les musulmans engagés dans la diffusion de l’islam sont fréquemment accusés de fondamentalisme, d’islamisme et aujourd’hui de séparatisme. Ce qui n’est pas le cas de la communauté évangélique.
La montée en puissance des évangéliques
Une communauté estimée aujourd’hui à 1 million de personnes qui a fait du prosélytisme son cheval de bataille. Avec une cible toute désignée : les musulmans.
Dans un reportage de Louise Couvelaire publié dans Le Monde, on découvre quelques-unes de leurs stratégies, de leurs facettes, de leurs objectifs.
« Les musulmans sont la cible principale de ces expéditions, car, en France, ce sont les derniers, ou presque, à croire encore », raconte Fatiha Kaouès, sociologue des religions au CNRS, auteure d’une thèse sur le développement du protestantisme évangélique au Moyen-Orient.
La France est devenue le nouvel espace de cette croisade des esprits.
Depuis trente ans, le mouvement évangélique a théorisé « les stratégies de conversion des populations non chrétiennes, musulmanes principalement, dans les pays arabes d’abord ». « Puis, petit à petit, l’Europe, perçue elle aussi comme une terre d’islam, est devenue une terre de mission », explique Fatiha Kaouès.
Appâter le musulman par un ex-musulman
Concrètement, la stratégie consiste à mettre en place des opérations de conversion en occupant des lieux urbains stratégiques (Place de la République par exemple) et d’interpeller des musulmans en leur proposant un café, une collation et un flyer « Connaissez-vous Jésus ? ». Les évangéliques portent également des dossards avec cette inscription : « Jésus sauve ».
Les réseaux évangéliques utilisent des ex-musulmans, à savoir des personnes nées dans des familles musulmanes et qui ont fait le choix du christianisme. Des appâts qui permettent un premier contact via le mimétisme physique et la connaissance des codes culturels et religieux musulmans.
Aboobaker, dit « Aboo », a 39 ans raconte Louise Couvelaire. Jardinier d’origine pakistanaise, converti au protestantisme évangélique « vers l’âge de 20 ans après un séjour dans une famille d’accueil chrétienne près de Dijon », l’homme use de cette ficelle. Il n’hésite pas à se présenter comme un ancien musulman, écrit la journaliste du Monde, auprès de ceux qu’il aborde dans la rue.
« Pour évangéliser, avoir le prénom et la tête d’un Arabe, c’est un point fort. On n’impose rien, on essaie de convaincre, et ça, on a le droit », lui confesse l’évangélique. Aboo va discuter avec deux Tunisiens. S’il ne parvient pas à les convaincre, l’un deux repart tout de même avec une Bible.
A l’assaut de la citadelle musulmane
Il s’agit d’exploiter toutes les failles possibles, les baisses de foi, les doutes, les règlements de compte avec sa famille, son pays d’origine. Tout ce qui pourrait amener un musulman à se tourner vers Jésus. Non pas le Jésus fils de Marie de l’islam, Messager du Dieu unique, mais le fils de Dieu qui s’est sacrifié pour l’humanité comme l’explique à longueur de prêche les évangélistes. Ces derniers, somme toute, ne mobilise pas la raison mais la pure émotion humaine. « Ce que l’on espère, c’est planter une petite graine, on ne sait jamais », ajoute « Aboo ».
Dans ce reportage instructif, on apprend également l’existence d’une maison d’édition évangélique La voix des prophètes, dont les produits (brochures, livres, CD, DVD…) ont pour objectif de « rendre le message de la Bible accessible aux non-chrétiens, particulièrement aux personnes d’arrière-plan musulman ».
Ou celle de Mission Ismérie, de l’islam au Christ, une association décidée à « accueillir les musulmans qui toquent à la porte », et prendre de vitesse les évangéliques qui gagnent du terrain dans une France déchristianisée par deux siècles de sécularisation moderne.
Autre association missionnaire orientée vers la conversion des musulmans, Mission Angelus (de l’islam au Christ). Le Monde raconte comment Jean-Yves Nerriec, son président, explique à Claudia, catholique convertie à l’islam et vêtu d’un djilbeb comment « L’islam, c’est l’angoisse de l’enfer, tandis que nous, les catholiques, on propose un Dieu qui aime, qui sauve de la mort et du péché. » En vain. « Cette approche frontale n’a rien donné. Claudia est repartie atterrée. »
Même le diocèse de Paris a nommé il y a deux ans « un prêtre chargé de la question musulmane ». « En matière d’évangélisation, nous reprenons un peu de souffle, même si nous avons du retard par rapport aux évangéliques », explique l’ecclésiastique.
La stratégie de la proximité culturelle
Fatiha Kaouès qui a étudié ce mouvement décrit de quelle manière les évangélistes ont peaufiné leur méthode dans les pays arabes avant de la mettre en place en France. Une stratégie « non hostile » de conciliation de sa culture avec la nouvelle foi. « Je me suis converti, mais je continue de m’appeler Saïd, mes enfants ont des prénoms à consonance maghrébine, je mange mon couscous avec les doigts », confirme l’un des évangélistes.
Les réseaux sociaux sont également le théâtre de cette guerre sans détonation, ni explosion, poursuit Le Monde.
Brother Rachid en est l’emblème. Télévangéliste marocain, l’homme est suivi par deux millions de personnes sur sa page Facebook. Il anime fréquemment sur sa chaîne YouTube (360 000 abonnés) des débats sur l’islam et le christianisme.
En France, Brother Rachid a fait des émules. Olivier, 21 ans, frère du fondateur de l’association Tous pour Christ, se fait appeler « Zeytooun », prêche en arabe et accumule son audience avec « 324 000 abonnés sur TikTok, 49 000 sur Facebook, 34 000 sur Instagram ».
Les évangélistes parviennent-ils à leurs fins ? Difficile à dire. Il n’existe aucune donnée vérifiable. « Certains revendiquent 3 000 conversions de musulmans au protestantisme évangélique par an en France, contre 4 000 conversions de non-musulmans à l’islam », indique Fatiha Kaouès, en ajoutant qu’aucun « chiffre fiable » n’existe.