Dans sa dernière chronique, Melchi-Sedech al Mahi nous invite à ne pas tomber dans le piège du désordre du monde et de la réduction que sa vision implique. « Notre mal, écrit-il sur Mizane.info, provient uniquement de l’ignorance que nous avons de cette réalité, qu’elle se rapporte au monde ou à nous-mêmes. »
Le désordre du monde résonne en nous, il se reflète dans le miroir de notre désordre intérieur et vice et versa, et ce dans la mesure où nous nous laissons emporter par les ressacs de l’âme qui, comme la vague avec les sédiments rocheux retient en se retirant toute sorte de stimuli sensoriels et émotionnels, d’autant plus que nous n’en sommes pas conscients.
Souvent nous avons peur, même sans savoir pourquoi, le sol semble s’effondrer sous nos pieds et nous nous rendons compte alors, un peu stupéfait, que nous ne savons pas flotter dans les airs ! De l’insouciance qu’avait imposé une société de consommation, athée et centrée sur les temps de loisir nous passons à l’angoisse par définition permanent d’un futur dystopique.
Il est vrai que notre époque cultive plus que jamais l’incertitude, que ce soit par les faits matériels objectivement inquiétants où les récits qui s’y rapportent, que ce soit dans notre vie quotidienne ou à travers les médias, les deux ayant d’ailleurs tendance à devenir de moins en moins distincts.
Nous ne cessons d’être occupés, presque suggestionnés par les malheurs, les nôtres et ceux du monde, non pas par empathie mais parce qu’ils nous disent que nous ne pouvons plus nous projeter dans une vie terrestre sans terminus.
L’urgence du discernement
Il ne faut pourtant pas oublier que pour le croyant, rien de ce qui se passe ou de ce que nous imaginons qu’il se passe ne doit résumer l’entièreté du réel et donc définir complètement notre condition spirituelle et psychique. Comme l’ont répété les sages tout au long de l’épopée humaine, notre mal provient uniquement de l’ignorance que nous avons de cette réalité, qu’elle se rapporte au monde ou à nous-même.
Le taux de natalité baisse encore et toujours dans nos sociétés occidentales, les suicides des plus jeunes est un phénomène alarmant, nous ne croyons plus à un avenir radieux et nous sommes abreuvés du sentiment qu’aurait sans doute, pensons-nous, les spectateurs désarmés d’une apocalypse imminente. Bref, tout nous pousse à nous sentir vulnérable et impuissant et in fine à perdre tout espoir.
Que la folie de l’homme moderne ne puisse plus être contestée et que l’homme ordinaire se réveille de sa léthargie est en soi une bonne chose et la crainte est un élément indispensable pour faire face au danger, la voie de la discrimination métaphysique entre le Vrai et l’illusoire est d’ailleurs un procédé au cœur d’al furqan, nom qui désigne le livre saint de l’Islam mettant précisément l’accent sur cet aspect.
Mais le chemin ne doit pas être pris pour le but, on peut certes avancer en voyant le mal qu’il y a en nous même et dans le monde, si et seulement si l’on réagit de la façon la plus noble qui soit.
Les faux-semblants du contrôle
Il faut d’une part prendre garde à ne pas adopter une position de supériorité face à l’incompréhension générale, car on s’empêcherait par là d’atteindre le but qui se trouve derrière le voile et nous retomberions alors par conséquent dans le piège que l’on se gargarise par ailleurs d’avoir franchi.
Le vide laissé par l’évanescence des promesses trompeuses du monde ne doit pas se suffire à lui-même.
Nous ne devons pas seulement feindre de chasser l’obscurité par une compréhension mentale, ou une action mondaine, nous devons faire entrer la lumière sans laquelle l’obscurité, purement négative, ne peut réellement disparaitre.
Le Prophète que la grâce et la paix unitive soit sur lui nous interpelle dans un hadith « Qu’aucun de vous n’injurie ad-dahr (le temps) car c’est Allah qui est le temps », rien du déroulement des évènements du monde n’échappe à Allah, se révolter contre ce qui arrive c’est en définitive déclarer la guerre au Tout Puissant.
Beaucoup, même parmi les musulmans prirent, évidemment à tort, la force tranquille des maitres de la voie pour de la passivité.
Même quand ces derniers s’activent par respect pour les règles qui régissent notre monde, ils ne le font pas dans l’angoisse, la colère ou le désespoir, le centre de l’être est impassible quoi qu’il se passe, car La Vérité à laquelle ils ont accédé dépasse toute contingence, et quelles que soient les apparences, ces dernières ne sont en définitive que des éléments de l’ordre total.
Qu’on se rappelle Ali, qu’Allah l’agrée, en plein combat retenant son coup face à l’ennemi, de peur d’agir pour et par lui-même.
On comprend qu’obtenir la victoire ici-bas n’est qu’un prétexte pour être au service de la Vérité qui transcende éminemment l’histoire humaine. C’est d’ailleurs pourquoi, dans le monde moderne où ce principe est ignoré, toute tentative d’action politique est vaine.
Dieu a déjà gagné si tant est que l’on puisse utiliser ici l’image de la lutte entre le bien et le mal, La Vérité n’a pas besoin de nous, c’est nous qui avons besoin d’elle, le maître n’a pas besoin du disciple mais c’est le cheminant qui doit exprimer un besoin impérieux à son égard.
Il faut cesser d’écouter les bruits en nous-même en pensant toujours pouvoir se faire confiance, car ce « nous-même » n’est, précisément, pas tout à fait nous ; il faut au contraire se concentrer sur l’essentiel et se rendre disponible à ce qui, à la fois nous dépasse et nous contient.
En outre, il nous faut être interpellé par cette maladie de l’angoisse qui se diffuse à mesure que notre volonté de résister intérieurement s’amenuise. Tout se passe comme si nous n’avions pas conscience que la fin du monde arrivera fatalement le jour de notre mort et que par conséquent pour tout un chacun l’apocalypse est imminente et il en est ainsi pour toute créature depuis la genèse du monde.
L’espoir transhumaniste et progressiste d’une vie physique éternelle est-elle sournoisement et tellement ancrée en nous que l’idée même de fin quant aux conditions d’existences terrestres, devient insupportable ?
Concentration et recentrement spirituel
Lorsqu’on demanda au Prophète que la grâce et la paix unitive soient sur lui, quand arrivera la fin des temps, il répondit à son interlocuteur en lui demandant ce qu’il avait préparé pour son arrivée. Ici comme toutes les paroles prophétiques, la leçon est synthétique et foudroyante.
Ce qui nous est demandé avant tout, c’est de nous concentrer sur les éléments salvateurs, non pas sur les ténèbres ; sur notre responsabilité immédiate et qui concerne ce sur quoi nous pouvons agir, c’est-à-dire nous-même ici et maintenant.
On ne se rend pas bien compte où se situe réellement la bataille. Quand les hostilités de l’âme cessent chez quelqu’un, celles de la collectivité humaine envers lui cessent également aurait dit le cheikh al-Darqâwî qu’Allah sanctifie son secret.
Il ne faut cependant pas se servir de l’amour de Dieu pour obtenir l’amour humain, comme le disent les évangiles cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, tout le reste vous sera donné par surcroît. Mais, impatient, il nous faut nourrir la bête.
Nous avons besoin de combat pour exister, d’une spiritualité pour exister, d’une communauté pour exister alors que ces faveurs nous sont données pour dépasser notre individualité, non pas pour exacerber sa vanité. Nous détournons les faveurs divines pour alimenter le désordre que nous souhaitons combattre et ceci est d’ailleurs inéluctable sans une force extérieure qui vient piloter l’avion de notre âme corruptrice.
Qu’on nous excuse ces images par trop simplistes, mais sans ce pilote, point d’atterrissage, nous serons condamnés à tourner en rond au-dessus de la piste jusqu’à épuisement total du carburant. C’est précisément ce que fait le monde moderne et la plupart de ceux qui y vivent, d’où l’impression diffuse d’un crash imminent.
La remise confiante en Dieu
En tournant les choses dans tous les sens la problématique est toujours la même, nos actions n’auront de sens qu’en Allah (Dieu), nous avons certes l’habitude d’entendre cela mais ces mots sont devenus vides de sens tellement nous ne les comprenons plus, tellement nos cœurs sont incapables de les réaliser.
Simone Weil la chrétienne et platonicienne a expliqué avec sagesse le processus cyclique de la chute au niveau humain, un homme agissant par lui-même disait-elle, loin de se rendre libre se livre à la pesanteur, à la mécanique implacable de l’éloignement.
Ne soyons pas comme le fils de Noé, en pensant échapper au déluge par un autre moyen que celui qui nous est divinement rendu disponible.
Il est vrai qu’il est difficile pour nous, qui sommes habitués au rationalisme occidental de penser à la fois le malheur des hommes et la perfection divine, comment notre souffrance peut-elle vouloir dire autre chose que ce qu’elle dit à notre chair, c’est que l’on butte sur d’apparents paradoxes par ignorance.
Nous ne goûtons pas à l’harmonie des contraires certes alors commençons par être certain de notre incapacité, nous n’aurons alors plus d’autre choix que de faire confiance et cela s’appelle la foi et c’est peut-être le début de la connaissance.
Notre état est le comble de l’ignorance car nous n’arrivons ni à concevoir l’écart incommensurable entre nous et Dieu, ni à concevoir Sa grande proximité. Qu’Allah nous aide !
Melchi-Sedech al Mahi
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