Simon-Bernard Lenoir, Lekain dans le rôle d’Orosmane, 1767, Paris, musée du Louvre.
Mahométan, Maure, Sarrasin, Turc : les termes utilisés en français pour désigner les fidèles de la religion du Prophète ont longtemps éclipsé le terme naturel de musulman qui les désigne. Sadek Neaimi, auteur de «L’islam au siècle des Lumières» nous explique pourquoi dans un extrait de son livre à lire sur Mizane.info.
Le seul terme qui puisse désigner un adepte de l’islam est celui de Musulman. Ce mot est utilisé pour signifier la personne qui se réclame de la religion islamique, qui professe cette religion. Ce terme apparaît tardivement en français par rapport à d’autres termes signifiant adepte de l’islam.
Le français médiéval connaissait le terme Mahommés pour désigner les musulmans, ainsi dans le Roman de Mahon d’Alexandre du Pont : « Que Mahommés fist en sa vie (vers 11). » Et on lit aussi : « Mahommés, pour savoir la somme » (vers 135).
Ce Roman utilise une autre transcription de ce terme, ainsi on trouve le mot Mahons : « Mahons le sen comme devant » (vers 360).
Musulman commence à apparaître dans la seconde moitié du XVIe siècle, s’écrivant d’abord Montssolimans puis cette transcription se change en Mussulman. C’est en 1697, dans la Bibliothèque orientale, qu’apparaît son dérivé, le substantif musulmanisme, pour dire islam. Les dictionnaires français ne reprendront ce mot qu’à la fin de la première moitié du XVIIIe siècle, c’est pourquoi il n’apparaît que rarement dans la littérature française du XVIIIe siècle, bien que Voltaire l’utilise en 1732.
Dans l’édition de 1762 du dictionnaire de l’Académie française, on trouve musulman comme équivalent de Mahométan. Malgré l’existence du terme musulman, les philosophes ne s’en servent que très rarement, si on excepte Voltaire, qui l’utilise ainsi dans Zaïre : « La coutume, la loi, plia mes premiers ans à la religion des heureux musulmans » Acte l, scène 1.
Le même terme se trouve aussi dans la même scène, lorsque Orsmane dit à Zaïre : « J’ai cru, sur mes projets, sur vous, sur mon amour devoir en musulman vous parler sans détour. »
Toujours dans la même scène, le terme est mis en opposition à chrétien, lorsque Zaïre dit :« J’eusse été près du Gange esclave de faux dieux. Chrétienne dans Paris, musulmane en ces lieux. »
On aura noté que le mot musulman est accompagné ici de l’adjectif qualificatif heureux, alors que dans le Dictionnaire philosophique, le mot musulman est accompagné de bon, mais associé à sottise, comme dans l’article « Gloire» : « Un bon musulman a-t-il fait blanchir son salon, il grave cette sottise sur sa porte ; un saka porte de l’eau pour la grande gloire de Dieu. C’est un usage impie qui est pieusement mis en usage. » Voltaire n’attaque pas ici l’islam, mais tout rituel de religion révélée.
Quoique Zaïre soit écrit seize ans avant De l’Esprit des lois, le terme musulman n’apparaît pas dans le texte de Montesquieu qui n’emploie que mahométan, dans cet ouvrage comme dans ses autres textes, que ce soient les Lettres persanes ou les Considérations sur les Romains.
On trouve le mot musulman sous la plume de Diderot dans ses Pensées philosophiques : « Chinois, quelle religion serait la meilleure si ce n’était la vôtre ? – La religion naturelle. – Musulman, quel culte embrasseriez-vous si vous abjuriez Mahomet? – Le naturalisme. – Chrétien [ … )15. »
A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce terme devient plus fréquent en français. En 1760, Ch. Barth Fagan donne une comédie intitulée Le Musulman.
Sadek Neaimi