Sofiane Meziani.
Ecrivain, conférencier, enseignant, Sofiane Meziani revient dans nos colonnes sur la dérive et la déroute personnelle d’Emmanuel Macron depuis son accession au pouvoir. « Emmanuel Macron, écrit-il dans une tribune sur Mizane.info, rompt avec le libéralisme classique qu’on croyait déceler dans son programme initial pour adopter un néolibéralisme autoritaire qui ne laisse aucune place à la contestation et à la critique et qui vise à affaiblir tous les contre-pouvoirs. »
Sans doute ne faut-il pas se laisser berner par le score affiché de LREM aux présidentielles, parce qu’au fond c’est le RN qui semble avoir gagné la bataille des idées. Bien des citoyens français, parmi eux des intellectuels réputés, en l’occurrence un des anciens professeurs du président, François Dosse, se disent trahis par Emmanuel Macron, ce jeune énarque qui semblait, dans ses premiers pas de candidat, prendre le chemin de son maître, Paul Ricoeur, brillant philosophe et homme de terrain qui s’était engagé auprès des sans-papiers dans les années 90.
Un pouvoir liquide et solitaire
Plusieurs personnalités ayant voté Macron avaient, d’une seule plume, tenté, via Médiapart, d’interpeler en vain le président sur le criant fossé qui sépare les idéaux prometteurs du candidat des manœuvres opaques du président. Trahissant sans scrupule les enseignements de son maître (et pas que), Macron semble avoir plutôt pris pour guide celui auquel il a consacré son mémoire de DEA : Machiavel.
Ainsi la politique se trouve réduite à de la tactique dépourvue d’épaisseur intellectuelle, et reposera uniquement sur un jeu d’apparences, un pouvoir liquide ou un art caméléonesque de se montrer faussement consensuel. La pensée laisse ainsi place à la ruse.
Mais ne nous laissons pas illusionner aussi facilement : LREM (La République d’Emmanuel Macron) est un mouvement au statisme frénétique, une coquille vide qui fonctionne avec des slogans creux ; c’est un parti politique frappé par la désillusion, qui compte de plus en plus de démissionnaires, de moins en moins d’adhérents, un parti où il ne reste presque plus que… Emmanuel Macron qui semble donner un caractère personnel et solitaire au pouvoir de l’Élysée, en écartant tous les acteurs intermédiaires, tels que les syndicats ou les élus locaux, sans doute pour répondre à une volonté de combler le « vide démocratique » en incarnant aussi la figure du « roi » dans une forme de monarchie républicaine qui ne dit pas son nom.
C’est, comme l’a soulevé Raymond Gori dans La Nudité du pouvoir, tout le paradoxe d’un président hanté par la figure du « roi » tout en portant le costume d’un dirigeant de start-up.
Emmanuel Macron, l’enfant gâté de la République
Quand le système politique n’est pas animé par une idée-force, capable de transformer la société, l’action y devient agitation et bousculade risible sur les réseaux sociaux ; la politique se trouve réduite à du tweetisme enfantin. Sans idée motrice, la société est condamnée à mener une vie végétative. On ne change pas la société à coup de tweets, mais en étant porteur d’une véritable vision du monde. Aussi, faut-il revitaliser la pensée politique pour définir de nouveaux horizons permettant de faire sereinement société.
Emmanuel Macron a sans doute tous les traits apparents d’un homme « parfait » mais il lui manque l’essentiel : une vision. Notre énarque est tout sauf un visionnaire capable de changer la société ; il n’a pas de vision précise du monde, comme le fit remarquer Jacques Attali qui pourtant l’a aidé à garnir solidement son carnet d’adresse.
Macron n’est qu’un pur produit du système, l’enfant gâté de la République, qui est parvenu au sommet du pouvoir en court-circuitant toutes les étapes notamment grâce à l’appui solide de personnes influentes qu’il a fini par trahir pour ne s’entourer que des énarques de sa promotion auxquels il a accordé certains postes clés dans les hautes sphères de l’État. Plusieurs personnes qui sont à l’origine de son ascension, à commencer par François Hollande, ont souligné sa propension à la trahison et son manque cruel d’affect.
La répression juridique du Big Brother est « En marche »
Il y a donc lieu de s’interroger sur les contours d’un pouvoir qui n’a pas uniquement « les islamistes » dans son viseur mais la société civile de manière générale. Aussi, faut-il s’affranchir d’un engagement purement communautaire et agir avec une vision globale de la société.
Ceux qui croient que la « loi sur le séparatisme » ne touchent que les musulmans se trompent, elle n’est que le prélude d’une répression juridique visant à étouffer toutes les voix dissonantes et à contraindre la population à adopter son sens étroit de l’avenir. Mais l’histoire, comme toujours, a sa petite touche d’ironie : Macron est entrain de nourrir la bête étatique qui finira par l’écarter lui aussi…
Emmanuel Macron rompt avec le libéralisme classique qu’on croyait déceler dans son programme initial pour adopter un néolibéralisme autoritaire qui ne laisse aucune place à la contestation et à la critique et qui vise à affaiblir tous les contre-pouvoirs, à commencer par celui du Parlement. François Dosse parle de dévitalisation de la démocratie parlementaire.
Le libéralisme classique consistait justement à réduire le rôle de l’État pour favoriser l’expansion du marché économique tandis que le néolibéralisme, adopté par Macron, dans la droite ligne du théoricien américain Lipmann, appelle au contraire à renforcer solidement le pouvoir de l’État pour forcer la société à se plier aux exigences de performance et de rentabilité.
Plus clairement, Macron aspire à endurcir le rôle de l’État, avec un arsenal juridique autoritaire, qui aura pour mission de surveiller, contrôler, et surtout de contraindre la société civile à répondre aux impératifs du marché, notamment face à l’inéluctable effondrement économique du pays.
Il s’agit d’atténuer au maximum le caractère « horizontal » de la démocratie, c’est-à-dire à court-circuiter la souveraineté populaire, ce qui suppose une rééducation coercitive et disciplinaire de la « masse » pour la forcer à adopter le rythme de « la marche » qu’il a lancée dans les coulisses de la trahison. L’épisode des gilets jaunes est en cela très éloquent.
Une guerre contre l’intelligence
L’État de Macron a tous les traits d’une « start-up-nation », qui confond politique et marketing, renforcé par l’infiltration des cabinets de conseils, où il est surtout question de flexibilité, d’adaptation, d’employabilité davantage que de santé, d’éducation, de citoyenneté. Un État qui a, sous des pulsions néo-maccarthystes, officiellement déclaré « la guerre à l’intelligence », notamment en instaurant une police de la pensée dans le monde académique. Cette indigence intellectuelle qui caractérise le gouvernement français a particulièrement triomphé au cœur même de la Sorbonne.
En effet, en janvier 2022 s’est tenu, en ce haut lieu symbolique, un colloque, lancé par deux ministres de Macron, réunissant des universitaires retraités ou non actifs, sans doute frustrés par leur criante absence de reconnaissance internationale, venus chasser en meute pour démonter, non sans se ridiculiser, les penseurs de la « french theory » (qu’ils n’ont certainement pas lus), notamment Foucault, Derrida, Deleuze, et Lyotard, sous la bannière d’une lutte républicaniste contre le « woke » et la « cancel culture » ; autrement dit, le gouvernement s’est ingéré au cœur du monde universitaire pour neutraliser toute pensée critique visant à éveiller la société contre la marginalisation ou l’ostracisation politique d’individus ou de groupes de personnes qui représenteraient une « menace » pour la « culture française ».
Plusieurs intellectuels, notamment Elizabeth Rudinesco et Michel Wieviorka, ont dénoncé cette mascarade « académique » qui s’est déroulé bien loin des conventions universitaires et surtout avec une incompétence qui a très vite été démasquée par certains spécialistes. Il est vrai que le monde académique est loin d’être exempt d’influences idéologiques, notamment dans les sciences sociales, qui nous interroge sur le caractère objectif de la science ; mais ici il s’agit surtout de pointer du doigt la dérive liberticide de l’État et sa volonté de se saisir de tous les contre-pouvoirs.
Les citoyens du dimanche et la « mâtabilité » de la société
Certes Macron finira par être occulté par le système qui l’a produit, ne laissant que la trace du néant et de la trahison derrière lui. Et s’il n’a pas été un exemple en matière de gouvernance, l’Histoire le retiendra comme contre-exemple de la justice. Toutefois, au-delà du cas Macron, on ne se débrasse pas du problème qui est bien plus profond. Il ne suffira donc pas de l’évincer dans l’isoloir des présidentielles pour remédier au mal profond de la société ; Macron n’est que la facette amovible d’un système périlleux, même si, il est vrai, la marche marconienne aura particulièrement accentué le péril qui risque de jeter la société dans l’abîme.
« Il faut voter ! » clameront les fétichistes des urnes. Mais le vote ne suffit pas ; nous dirons même que c’est la solution parfois facile des citoyens du dimanche (jour d’élection) qui veulent se donner l’illusion d’être acteur de la société les week-end de vote.
Parce qu’après avoir jeté le bulletin dans l’urne, ils s’empressent aussitôt de retourner accomplir, avec recueillement et abnégation, les rites du divertissement et de la consommation, dans un individualisme dévoué. C’est l’incohérence dans laquelle se retrouve bon nombre de citoyens : changer un système auquel ils se sont parfaitement acclimatés… Que nous est-il donc permis d’espérer ?
Les chiens ne font pas des chats. La médiocrité engendre la médiocrité. Une société a le gouvernement qu’elle mérite. Nous sommes les premiers responsables de la dérive du pouvoir politique parce que nous l’avons rendue possible par notre soif de consommation, notre inertie intellectuelle, notre individualisme passif… Si la société est « mâtée » par le gouvernement c’est parce qu’elle est « mâtable ». Nous avons, plus clairement, créer les conditions de notre « mâtabilité » (On reconnaîtra Bennabi).
Pour s’affranchir de cette condition misérable dans laquelle nous nous sommes confortablement installés et faire face au virus politique du gouvernement, il faut investir sérieusement le champ de l’éducation, qui est le levier le plus efficace et sur lequel nous avons encore la main, et se réconcilier avec les gestes barrières de la lucidité : Consommer moins, lire plus ; réduire le divertissement, augmenter la réflexion ; oser penser et agir, avec une conscience collective.
Cette nécessaire étape de l’éducation doit, pour permettre un « salut publique », déboucher sur des actions sociales, autrement dit, sur une résistance civile contre le pouvoir totalitaire du libéralisme économique qui chaque jour brise la cohésion sociale et nous enferme dans un système de contrôle où la vie privée sera instrumentalisée à des fins de manipulations politiques et économiques.
C’est en éveillant quotidiennement et collectivement l’intelligence de chacun que nous parviendrons à bâtir une société lucide, qui ne laissera aucune place à la médiocrité, capable de se montrer particulièrement intolérante aux ambitions politiques des incapables.
Sofiane Meziani