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mardi 03 décembre 2024

Manifeste des 300 : des théologiens musulmans répondent sur «l’obsolescence» de versets du Coran 

Coran

300 personnalités comptant des politiques, intellectuels, journalistes et artistes ont signé un manifeste dans Le Parisien pour dénoncer un « nouvel antisémitisme » musulman qui s’appuierait sur des versets du Coran dont elles appellent à l’obsolescence. Mizane.info a interrogé Tareq Oubrou, Mohamed Bajrafil et Tarik Abou Nour, trois imams et théologiens reconnus, pour connaître leur réception sur ce « Manifeste des 300 ». Exclusif.  

Mohamed Bajrafil : « Cet appel est un manque de respect total envers les musulmans »

Mohamed Bajrafil est secrétaire général du Conseil Théologique Musulman de France, chercheur associé au Laboratoire de Linguistique Formelle (Université Paris Diderot-CNRS) et imam à la mosquée d’Ivry-Sur-Seine. Il est l’auteur du livre « Réveillons-nous, Lettre à un jeune Français Musulman », aux Editions Plein Jour.  

Coran
Mohamed Bajrafil.

« Cet appel est un manque de respect total envers les musulmans pour qui la Parole de Dieu est bonne en tout lieu et en tout moment. Je suis très étonné, d’ailleurs, qu’il y ait des théologiens musulmans parmi les signataires. Ces derniers feignent-ils d’oublier que le Coran n’a pas un seul sens mais en comporte plusieurs – comme tous les Textes religieux. Dit autrement, est-il imaginable qu’ils ignorent qu’il existe plusieurs lectures ou plusieurs niveaux de lecture pour ces Textes ? Le Coran, dont certaines exégèses classiques sont invoquées, il faut le reconnaître, par des groupuscules assassins dans/pour leurs crimes, échapperait-il, selon eux, à cette réalité ? N’était-il pas la fontaine dont s’abreuvait Djalal al-Din ar-Rumi – dont l’œuvre qui suinte la tolérance et l’ouverture à l’autre – qui qu’il fût – n’est plus à présenter ? Cette position du Manifeste témoigne, de mon point de vue, soit d’une malhonnêteté intellectuelle manifeste – qui ne vise qu’à stigmatiser gratuitement des gens – les musulmans, en l’occurrence – soit d’une ignorance crasse de ce que sont les textes musulmans. Dans tous les cas, elle est loin d’être digne de personnes ayant été aux plus hautes fonctions de notre pays. Parmi les signataires du manifeste, il y a des intellectuels dont le propre est pourtant de toujours s’intéresser à la profondeur des choses. Le moins que l’on puisse dire est qu’il leur ne leur fait pas honneur. Sur la base du Coran, dont ils veulent ou réclament la caducité de certains versets, le musulman aime le juif et le chrétien. Ce qui doit être changé ce ne sont donc pas les versets du Coran qui, de mon point de vue de croyant, ne seront jamais frappés d’obsolescence, mais les lunettes qui président à leur interprétation.

Aucun verset du Coran n’appelle à tuer le juif parce que juif. Ou il appelle à riposter à des attaques dans une logique de légitime défense, ou il raconte des événements liés à des circonstances précises dans l’histoire de l’islam ou de l’humanité – que d’aucuns ont généralisés. D’où l’importance de l’interprétation et de la contextualisation, que les signataires du manifeste refusent au Coran

Il faudrait que les signataires aient le courage de dire que ce dont sont victimes les juifs n’est nullement différent que ce dont sont victimes les musulmans dans le monde. L’idéologie qui assassine des gens parce que juifs est la même que celle qui a tué 300 personnes dans une mosquée en Egypte, il n’y a pas si longtemps, parce que soufies. Pour ces assassins, entrer dans une synagogue et tirer est la même chose que rentrer dans une mosquée et tirer sous prétexte que les fidèles seraient chiites, sunnites, soufis, etc. Par ailleurs, la phrase de l’appel stipulant qu’il y aurait des versets du Coran « appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants » est fausse ! Aucun verset du Coran n’appelle à tuer le juif parce que juif. Ou il appelle à riposter à des attaques dans une logique de légitime défense, ou il raconte des événements liés à des circonstances précises dans l’histoire de l’islam ou de l’humanité – que d’aucuns ont généralisés. D’où l’importance de l’interprétation et de la contextualisation, que les signataires de « notre manifeste » refusent au Coran – de par leurs positions tranchées. J’aborde cette question dans mon dernier ouvrage, « Réveillons-nous ! Lettre à un jeune français musulman » – et beaucoup d’autres le font ou l’ont fait également avant moi. Que les signataires lisent ces travaux et cessent de s’appuyer sur « leurs fantasmes » de musulmans « sauvages ». Je ferais remarquer à ce propos qu’aucun islamologue de renom n’a signé cette tribune. Allez savoir pourquoi. Plusieurs déclarations allant dans le bon sens sont régulièrement faites, mais ces voix n’en n’ont rien à faire. Ce n’est pas ce qui les intéresse en réalité. C’est un esprit, au mieux guignolesque, au pire, de division qui semble les guider. Car ce n’est pas en opposant le musulman au juif qu’ils peuvent espérer lutter contre la propagation de l’antisémitisme. Le plus étonnant est que lorsque nous dénonçons l’antisémitisme et le combattons, on nous dit soit que nous n’en faisons pas assez, soit que nous pratiquons la taqiya (dissimulation, double discours, ndlr). C’est surtout cela qui délégitime ce manifeste, certains des signataires étant coutumiers des pires amalgames. Les théologiens et intellectuels musulmans n’ont pas attendu la tribune des 300 pour se lancer dans un travail critique. Ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à affirmer avec force conviction que les traditions doivent être passées au crible de la critique lorsque cela est nécessaire, sans pour autant rejeter la totalité de leur héritage, comme le suggèrent nos honorables signataires.

Tareq Oubrou : « Dire que l’antisémitisme tire sa source du Coran est une ineptie »

Tareq Oubrou est l’imam de la mosquée de Bordeaux, théologien, écrivain et auteur de plusieurs ouvrages. Citons « Profession imam », « Ce que vous ne savez pas sur l’islam », « La féministe et l’imam », etc.

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Tareq Oubrou.

« Cette demande est mal tournée. Il ne s’agit pas de frapper d’obsolescence quoi que ce soit. Ce qu’il faut changer c’est la perception et l’interprétation. Le Texte sacré reste sacré, l’interprétation ne l’est pas. La tournure du manifeste est maladroite, ses signataires ne sont pas des herméneutes, des spécialistes des Textes ni des questions relatives à l’abrogation, à la distinction entre l’universel et le circonstanciel d’un Texte. Certains intellectuels partagent les mêmes ignorances que le commun des Français quant à la complexité du Texte coranique. L’appel au meurtre n’existe pas dans le Coran. Il existe un appel au combat. Le qital (combat) n’est pas le qatl (meurtre). Il y a un travail de traduction et d’interprétation à faire, à supposer que les gens ont lu le Coran directement. Il y a ce qu’on appelle la pragmatique des langages. Cela signifie que le sens du mot dans le Coran se déplace en fonction de son usage, du contexte scripturaire et du contexte historique. Sans globalité du Texte et de l’histoire, on ne peut pas saisir le sens. Il s’agit de combat et non de meurtre, et il ne s’agit pas de combat contre le juif parce que juif mais de combat juste contre des individus hostiles dans un contexte donné. Le djihad coranique, dans le sens de combat, est un djihad défensif. Tel est le paradigme qui doit orienter notre lecture du Texte. Le combat ne vise pas un individu parce qu’incroyant, ou juif, mais pour des actes d’injustices commis. Donc dire comme les signataires que le Coran appelle au meurtre signifie deux choses : soit les individus qui passent à l’acte et commettent des meurtres en utilisant le Texte comme prétexte ont mieux compris le Texte que les autres ; soit les musulmans qui ne passent pas à l’acte sont des lâches ou de mauvais musulmans. Ce sont des conclusions très violentes car à leurs yeux le mauvais musulman est le bon musulman et le bon musulman est le mauvais musulman car il n’applique pas ces versets. Je ne sais pas si les imams qui ont signé ce texte l’ont compris, vu leur niveau littéraire.

L’antisémitisme comme le terrorisme s’expliquent par beaucoup de facteurs : l’exclusion, le sentiment d’injustice, etc. Il est demandé aux musulmans de condamner l’injustice commise dans le monde musulman mais il n’est jamais demandé aux autorités juives de condamner la politique d’Israël, ce qui augmente les frustrations

Il semble que les signataires aient voulu dire par obsolescence que les versets en question n’étaient plus applicables. Tout dans le Coran n’est pas applicable. Certains versets sont liés au moment coranique comme les dispositions du butin. C’est la raison pour laquelle on peut comprendre ce type de demande mais elle demeure malgré tout maladroite. Mais la notion de combat n’est pas liée à la religion ou l’origine ethnique. Dans le Coran, il y a même dans un passage la notion de combat contre des musulmans qui ont été injustes à un moment donné. Une idée s’installe de plus en plus dans la société et les milieux intellectuels : la transposition de l’ancien antisémitisme catholique chez les musulmans. Il y a un antisémitisme chez certains musulmans, mais dire que l’idéologie de l’antisémitisme tire sa source du Coran est une ineptie. L’antisémitisme comme le terrorisme s’expliquent par beaucoup de facteurs : l’exclusion, le sentiment d’injustice, etc. Il est demandé aux musulmans de condamner l’injustice commise dans le monde musulman mais il n’est jamais demandé aux autorités juives de condamner la politique d’Israël, ce qui augmente les frustrations. N’oublions pas que nous parlons d’une infime minorité d’individus mais ce sont les minorités qui font l’histoire. Nous sommes pris en otage par des personnes qui n’arrivent pas à contrôler leur sentiment d’injustice. Dire qu’abroger des versets du Coran mettra fin aux violences est faux car ces gens-là ne consultent pas le Coran avant de passer à l’acte. Il appartient néanmoins aux imams et aux théologiens de faire de la théologie préventive et d’être responsable dans leurs discours. Un discours de rupture peut ouvrir la porte à une violence implosive ou explosive. Que chacun assume sa responsabilité.

Tarik Abou Nour : « Supprimer des versets est une trahison même du Coran »

Tarik Abou Nour est théologien, spécialiste en droit malikite et en finance islamique, et l’auteur du « Guide du musulman ».

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Tarik Abou Nour.

« J’aimerais bien savoir quels sont ces versets qui appellent au meurtre. En tant que théologien connaissant bien le Coran, je ne vois pas quels sont ces versets auquel ce manifeste fait allusion. Ensuite, Vatican II n’a pas frappé d’obsolescence ni la Torah, ni l’Evangile. Il a seulement développé une autre exégèse, une interprétation contextuelle de textes millénaires. J’en ai discuté avec des rabbins libéraux qui me disent eux-mêmes qu’il n’est pas question de changer un point de la Torah. Ces rabbins sont soucieux de sauvegarder, de préserver les textes tels qu’ils sont. Il est hors de question pour eux comme pour tout religieux de changer ces textes ou de les frapper d’obsolescence pour faire plaisir à des politiciens ou des intellectuels. Un travail exégétique des textes religieux a été fait par des juifs, chrétiens et musulmans. A mon avis, soit ces signataires ignorent ces travaux, soit ils sont de mauvaise foi. Certains ont même poursuivi le débat en réclamant la suppression pure et simple de ces versets. Il faudrait donc réimprimer le Coran avec des versions plus douces ! Il s’agit d’une ingérence dangereuse. Supprimer des versets est une trahison même du Coran. J’aimerais bien discuter avec ces personnes pour qu’elles m’expliquent quels sont ces versets. Certains de ces signataires entretiennent une hostilité connue du public pour l’islam pour des raisons idéologiques et politiques. De telles déclarations sont irresponsables.

Le Coran n’appelle jamais au meurtre. Une religion ne peut pas appeler au meurtre. Il s’agit d’une idéologie wahhabite qui est la matrice d’où est née Al Qaida, Daesh, qui appelle au meurtre non pas au nom d’une théologie mais d’une idéologie

Au lieu de s’attaquer aux causes réelles du terrorisme qui sont des causes idéologiques, politiques, économiques, ils ajoutent de l’huile sur le feu et braquent des personnes les unes contre les autres. Les juifs séfarades ont vécu en paix avec les musulmans pendant des siècles. Ils n’ont jamais été tués. Si le Coran incitait les musulmans à le faire, l’histoire aurait été différente. Le terme d’épuration ethnique a été utilisé. C’est un terme très fort. Sous la période de l’Empire abbasside ou ottoman, cela n’a jamais été fait. Sous l’Empire ottoman, des vizirs juifs ont même gouvernés. Même chose en Andalousie. Le Coran n’appelle jamais au meurtre. Une religion ne peut pas appeler au meurtre. Il s’agit d’une idéologie wahhabite qui est la matrice d’où est née Al Qaida, Daesh, qui appelle au meurtre non pas au nom d’une théologie mais d’une idéologie. C’est une idéologie meurtrière comme l’a été l’idéologie de l’Inquisition, de Slobodan Milosevic en Bosnie-Herzégovine ou de Georges Bush en Irak. Aucun spécialiste sérieux ne pourrait expliquer ces crimes par des analyses théologiques. Les sources du terrorisme sont tout autant liées à cette idéologie qu’elles le sont de la politique britannique au Moyen-Orient au 19e/20e siècle, du conflit israélo-palestinien depuis 1948, etc. Aujourd’hui, il y a une vague autour de cette idée d’un antisémitisme musulman. Beaucoup surfent dessus. Je suis contre l’antisémitisme qui vise les juifs comme les musulmans. En tant qu’humains, nous sommes tous égaux par nature devant la loi et devant Dieu. Quant aux religieux qui ont signé ce manifeste, c’est par pur intérêt et opportunisme. Leur objectif est de se faire mousser et connaître autour d’une provocation.

A lire également : 

« Le prêtre et l’imam », Tareq Oubrou, Christophe Roucou

 

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