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jeudi 21 novembre 2024

Marie, une figure coranique

Marie est la seule femme dont le nom est mentionnée textuellement dans une sourate éponyme lui étant consacrée. C’est dire la centralité de la figure mariale dans le Coran. Maurice Gloton nous restitue l’importance du rôle et de la fonction spirituelle remplie par la Vierge Marie dans un extrait de son remarquable ouvrage intitulé “Jésus le Fils de Marie dans le Qur’ân et selon l’enseignement d’Ibn ‘Arabî” (Albouraq).

Le texte coranique fournit quelques indications partielles sur la Famille de Jésus, le Fils de Marie. Marie (Maryam), seule femme dont le nom figure dans le Qur’ân, est fille de cet `Imrân – correspondant à Joachim de la tradition chrétienne – nommément mentionné au verset 35 de la sourate 3 alors que le nom de son épouse Anne (Hanna) qui, dans le même verset, invoque son Seigneur pour lui demander de consacrer le fruit de ses entrailles, n’apparaît nulle part dans le Qur’ân.

C’est la tradition qui précise qu’il s’agit de Anne. Zacharie, considéré comme prophète en Islam, est mentionné dans plusieurs versets – nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin – et il prendra en charge Marie après la mort de Joachim, son père qu’elle ne connaîtra pas, car il mourra avant sa naissance.

Pour trouver les liens de parenté de Marie avec Zacharie, il faut faire appel à certaines traditions islamiques concordantes avec les données du Christianisme. Imrân b. Mathan ou Joachim est dit descendant de Salomon et de David selon ce qui est rapporté dans le commentaire de Tabarî. Le père de Anne, mère de Maryam, était Fakudh b. Katil. Zakarie, ou Zacharie, fils de Barachie, père à 70 ans de Jean-Baptiste (Yahyâ) dans le Qur’ân, est l’oncle maternel de Maryam et son premier tuteur après la mort de Joachim. Elisabeth (Ishâ’), épouse de Zacharie est la mère de Jean-Baptiste (Yahyâ) et la tante maternelle de Maryam. Joseph le menuisier (Yûsuf an-Najjâr), non mentionné dans le Qur’ân, est le neveu de Zacharie et tuteur, à un âge avancé, de Maryam par délégation de Zacharie. Anne, la mère de Maryam, confie celle-ci aux Lévites de la descendance d’Aaron qui avaient la garde du Temple de Jérusalem.

Le tableau ci-dessous, récapitule ces différents liens de parenté et montre que Marie et Jean-Baptiste étaient cousins germains par les deux sœurs Anne et Elisabeth, et que Jésus était cousin au deuxième degré avec Jean-Baptiste.

Le nom arabe et coranique de `Imrân, comme nous venons de le commenter, correspond à Joachim, père de Marie, et signifie étymologiquement « celui qui est très prospère ». Il a une forme intensive très voisine du duel, ce qui peut suggérer que cette prospérité s’étend à ce monde et à l’autre. Le nom de Anna, Hanna en arabe, signifie dans cette langue : « celle qui soupire de compassion, celle dont le cœur est tendre et miséricordieux ». La racine de ce beau nom comporte principalement le sens de « rendre un son comme l’arc qui se détend ». L’amour divin et miséricordieux de Hanna devait être tellement fort qu’il débordait en elle et se libérait sur les créatures. Nous entrevoyons déjà que Dieu, par la prédisposition divine de ses deux parents, avait préparé Marie à être le réceptacle de la Parole divine qui se manifestera en et par Jésus. De plus, la Tradition relate la vieillesse stérile et attristée de Hanna avant la naissance de Marie. Nous nous trouvons encore ici devant l’intervention miraculeuse de Dieu, celle qui concernera Sara, Rébecca et d’autres femmes célèbres du Premier Testament, dites stériles et qui laisse augurer d’un destin exceptionnel réservé à Marie.

Qur’ân 3-35Or, la femme de `Imrân (celui qui est très prospère) dit : « Mon Enseigneur ! Je T’ai consacré, en toute liberté, ce qui est en mon sein (ou = en mon intérieur). Accepte (ou reçoit cela) de moi, car Toi, Tu es bien l’Audient, le Savant. »

L’invocation que la mère de Marie, Hanna, adresse à son Seigneur : Je T’ai consacré… ce qui (mâ) est en mon intérieur comporte le pronom relatif arabe neutre mâ, ce que, qui n’exclut, devant son indétermination foncière, aucune des possibilités qui sont en elle, masculines comme féminines, qui vont s’actualiser sous forme d’un être féminin, Marie entièrement réceptive et réceptacle parfait de la Grâce divine qui conformera plus tard le Parfait, l’Accompli, Jésus – sur lui la Paix divine. La demande expresse de la femme de `Imrân se termine par la mention de deux Noms

divins employés absolument avec l’article universel « AL » qui impliquent son adhésion de foi complète et sa parfaite soumission à l’Ecoute divine selon la Science qu’Allâh possède de toute éternité. On déduit de ce verset très lapidaire et concis que Dieu avait répondu favorablement au désir intense de Hanna d’avoir une postérité et qu’Il avait reçu et accepté le vœu de cette femme âgée et stérile.

A lire du même auteur : Maurice Gloton : Jésus et la perspective islamique

Qur’ân 3-36 Lorsqu’elle eut accouché de l’enfant de sexe féminin, elle dit : « Mon Enseigneur ! Certes, moi, j’ai accouché d’un être féminin » – et Allâh (est) très savant de ce dont elle avait accouché – Or l’être mâle n’est pas comme l’être femelle ! – « Certes, moi, je l’ai nommé Maryam, et moi je Te demande que Tu la protèges, ainsi que sa descendance, de Satan le Lapidé ».

Peut être que Hanna s’attendait à avoir un garçon, le contexte coranique semble le laisser entendre, d’autant plus que la conception miraculeuse qui la concernait, intervenant à un âge élevé, ne lui permettait pas d’espérer avoir un autre enfant qui aurait pu être de sexe masculin et, selon une tradition hébraïque, destiné au service du Temple, alors que les filles ne pouvaient, en ce lieu, remplir cette fonction. Dans cette lignée choisie par Dieu, c’est Marie qui enfantera un fils, Jésus.

Il est remarquable que c’est la mère de Marie qui lui donne ce nom et non son père comme il est coutume de le faire dans la Tradition mosaïque. La lignée paternelle et éponyme exceptionnelle de Marie, ainsi que nous le faisions remarquer plus haut, a dû jouer un rôle tout à fait providentiel pour sa naissance déjà miraculeuse du fait de la vieillesse très avancée de sa mère. Elle naquit d’une famille dont l’ascendance a été rendue pure, préservée et, de plus, elle resta exempte de la « touche » que Satan (le Shaytân, en arabe, dont le sens étymologique est méchant, révolté, éloigné) fait sur tout nouveau-né. Une nouvelle prophétique considérée comme authentique précise que « tout enfant d’Adam nouveau-né est touché par Satan, à l’exception du fils de Marie et de sa mère ; à ce contact, l’enfant pousse son premier cri. ».

Quelle est cette descendance de Marie que sa mère Hanna demande aussi de protéger du Shaytân ? Ce sera tout d’abord et essentiellement Jésus, son fils, né lui-même miraculeusement sans père humain. S’agit-il ensuite de ceux mentionnés dans le verset 4-159 : « Il n’est personne parmi les Familiers de l’Ecriture qui ne porte la foi en lui (Jésus) avant sa mort. Au Jour de la Résurrection, il se trouvera témoin à leur sujet ». Le verset 43-57, qui sera commenté ultérieurement, vient préciser que Jésus est proposé comme modèle (mathalan) : « Quand le Fils de Marie a été proposé comme modèle, alors ceux qui se tiennent auprès de toi (il s’agit du Prophète Muhammad) se détournent de lui ».

Selon la Tradition, Marie sera très vite orpheline et elle sera prise en charge par son oncle maternel Zacharie, considéré comme prophète en Islam, dont le fils unique Yahyâ (Jean-Baptiste) est le cousin maternel de Marie. Le prophète Yahyâ, dont le nom signifie en arabe « il vit ou il vivra », viendra, lui aussi, au monde d’une manière miraculeuse, son père étant âgé et sa mère stérile.

Remarquons au passage que toute cette famille très proche par la parenté est destinée à une vie exceptionnellement providentielle accordée par des interventions de la Grâce divine ; elle sera à l’origine d’une ère traditionnelle nouvelle dans le cycle humain. Selon le verset 43-61, Jésus est un Signe de l’Heure, et selon certaines traditions, il le sera aussi à la fin des temps, lorsqu’il réapparaîtra, lors de sa seconde venue, pour tuer l’Antéchrist et rétablir pour peu de temps la paix sur terre.

Qur’ân 3-37Alors son Enseigneur l’accueillit d’un accueil parfait et Il la fit croître en la conformant harmonieusement. Il confia sa charge à Zacharie. Chaque fois que Zacharie pénétrait auprès d’elle dans le Sanctuaire, il trouvait chez elle une provende. Il dit : « O Marie ! comment cela est-il pour toi ? » Elle dit : « C’est de chez Allâh ! Certes, Allâh sustente qui Il veut sans compter ! »

Marie, servante parfaite est investie dans tout son être des caractères de son Seigneur et en réalise toutes les propriétés. Elle est alors le réceptacle parfait mais actif de la Présence divine, totalement disposée et prédisposée à recevoir la Parole de Dieu (kalimatu-Hu). Cet accueil de ce qui vient de Dieu a pour conséquence que l’être de Marie, dans toute sa constitution, est harmonieusement conformé pour accueillir, en pleine conscience, l’Esprit de la Sainteté qui lui transmet la Parole (kalima) divine. Le verset 4-171 viendra illustrer ce mystère particulièrement important dans l’ensemble complexe des relations divines et humaines qui concernent Marie, Jésus, l’Esprit de la Sainteté ou Esprit divin et la Parole de Dieu. Marie, enfant, est prise en charge par le prophète Zacharie qui est aussi son oncle maternel par alliance, ainsi que nous l’avons précisé plus haut. La prise en charge exceptionnelle de Marie lui est dévolue car elle lui est confiée par Dieu Lui-même. Il y a pour Zacharie comme une mise à l’épreuve que Dieu lui impose devant la question qu’il lui pose. En tant que prophète, il devait comprendre le cas de Marie sustentée par Dieu directement, mais peut-être voulait-il savoir de Marie elle-même comment elle comprenait son propre cas ! Une fois de plus, Dieu nous montre la vertu quasi prophétique de Marie qui, par sa réceptivité intégrale et l’essence même de son être est l’inspiratrice de la prophétie. Elle est la figure prototypique par excellence qui, par sa présence universelle, sert de support à la mission prophétique.

Qur’ân 3-42 Or les Anges dirent : « O Marie ! Certes, Allâh t’a choisie et t’a faite entièrement pure. Il t’a choisie supérieure aux femmes de l’Univers. »

L’épisode concernant Marie, commencé au verset 3-35 et interrompu aux versets 3-38 à 41, va reprendre ici pendant une longue séquence. Remarquons, dans ce verset, la répétition du verbe « choisir » appliqué à Marie. Dans la première séquence, Marie est élue ou choisie d’une manière non relationnelle pour la qualité unique de sa propre personne, alors que dans l’autre séquence, elle est élue supérieure à toutes les femmes possibles et en relation avec elles. Le terme arabe « ‘âlamîn » que nous avons traduit par « univers » est un pluriel régulier s’appliquant, en règle générale, aux êtres animés doués de science, les djinns et les humains. Il provient de la racine `A. L. M. qui signifie « être le signe de, marquer, distinguer par une marque, discerner, établir un lien entre différents signes, savoir, c’est-à-dire distinguer les choses entres elles ». Le vocable arabe « `ilm » que l’on retrouve de nombreuses fois dans le Qur’ân, et qui s’applique dans certains versets à Jésus, provient de cette même racine et est souvent traduit par ‘‘science’’. D’après l’étymologie de ce nom, il signifie, quand il s’applique à Dieu : l’infinité des réalités permanentes et éternelles présentes en Lui. Quand il concerne l’être humain, il représente les éléments qu’il discerne dans la création universelle et qu’il rapproche entre eux par son intellect (`aql = qui fait le lien), pour constituer un ensemble cohérent appelé « science, savoir, connaissance ». Ainsi interprétée, la science que les humains acquièrent ou possèdent est une connaissance de l’Ordre et de la Sagesse de Dieu dans des domaines divers plus ou moins étendus. L’enseignement général concernant Marie consiste à la considérer comme affranchie de toute impureté, en particulier du péché sous toutes ses formes car elle est véritablement servante de son Seigneur sans aucune restriction. Aussi l’expression « entièrement pure » doit être prise dans un sens intégral. Certains commentaires suggèrent qu’elle était même exempte des périodes menstruelles et des suites de l’accouchement ! Les commentateurs musulmans font ressortir que le pluriel « malâ’ika », anges est mis pour un singulier et concernerait l’Ange Gabriel de la Révélation. On pourrait aussi traduire ce terme par « le chœur des anges » comme on le retrouve quelquefois dans la littérature religieuse.

Qur’ân 3-43« O Marie ! Recueille-toi assidûment devant (ou = pour) ton Enseigneur, prosterne-toi et incline-toi avec ceux qui s’inclinent ! ».

Marie est femme parfaite tant selon les allusions du texte coranique, comme nous l’avons déjà constaté, que selon une nouvelle prophétique (hadith) sûre dans laquelle le Prophète Muhammad précise que Marie est l’une des femmes parfaites avec Âsiya, femme du Pharaon aux temps de

Moïse, Khadija, la première épouse du Prophète et Fatima, sa fille mariée à `Alî ben Abî Tâlib, cousin du Prophète et qui devint le quatrième calife. Elle est toutefois assujettie aux prescriptions de la Loi mosaïque et Dieu lui recommande ici trois attitudes fondamentales. La première, purement intérieure, consiste à rassembler toutes ses énergies, toutes ses facultés, tout son être pour son Seigneur afin que rien ne la distraie de l’adoration essentielle qu’elle Lui doit en tant que créature entièrement soumise. Ce recueillement de Marie est total dans tous les aspects de son être immaculé et la rend entièrement réceptive à la Présence de son Seigneur en elle et dans la création, mais aussi éminemment active.

Le Prophète de l’Islam lui-même, malgré sa perfection essentielle et existentielle a été assujetti aux prescriptions de la Loi que son Seigneur lui avait transmise pour lui et pour la communauté humaine dont il a été chargé jusqu’au Jour de la Résurrection ainsi que nous l’avons déjà montré.

La deuxième est la prosternation qui implique une complète résorption de tout l’être suggérée par la position repliée du corps. La troisième attitude est l’inclination qui pourrait signifier l’épanouissement à travers la hiérarchie des degrés cosmiques comme certains mystiques l’ont exprimé. Ces deux postures représentent des gestes d’adoration universelle et ne doivent pas être interprétées, ainsi que certains commentateurs ont pu le faire, comme étant calquées sur certaines postures de la prière rituelle et canonique musulmane. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette interprétation en commentant le verset 19-31. Les commentateurs musulmans ont remarqué que la prosternation (sujûd) est mentionnée avant l’inclination (rukû`), ces deux positions dans la prière rituelle étant réalisées dans l’ordre inverse. On peut comprendre que pour arriver à la position prosternée il faut passer sans interruption et d’une manière obligée par la position inclinée.

Maurice Gloton

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