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lundi 23 décembre 2024

Marvel et la stratégie babylonienne de l’inclusivité

Iman Vellani (au centre) incarne Kamala Khan dans la nouvelle série des studios Disney, Miss Marvel. 

La dernière production des studios Disney met en scène une jeune pakistanaise de New-York aux prises avec son imagination débordante et ses nouvelles responsabilités de super-héroïne Marvel. Une vision du monde baignée d’idéologie inclusive, capitaliste et narcissique. Une chronique signée Fouad Bahri. 

Une industrie florissante. Un fleuron juteux. Le marché du cinéma et de la création animée autours des comics et autres Marvel américain n’en finit pas de renflouer les caisses des majors de la production internationale états-unienne.

Avec comme toujours la même recette au dosage bien huilée : un cocktail ennuyeux de récupération culturelle, de management psychologique, de suggestion politique, de nivellement éthique, tout cela au service de la plus grande réussite financière de tous les temps. A titre d’exemple, le titre Avengers a rapporté à lui seul, sachons-le, 1 milliard 518 millions de dollars à ses producteurs. On comprend mieux les enjeux financiers.

Miss Marvel, première héroïne « musulmane » ?

La dernière production Disney « Miss Marvel » n’échappe absolument pas à ce savoir-faire gastronomique. C’est ainsi que pour la première fois à l’écran, une super-héroïne « musulmane » fera son apparition au mois de juin sous les traits de Miss Marvel. Voici comment le pitch officiel nous vend cette promo.

« Kamala Khan alias Miss Marvel est une adolescente américaine de confession musulmane, qui vit à Jersey City. Grande amatrice de jeux vidéo et insatiable rédactrice de fan-fiction, elle adore les super-héros, qui enflamment son imagination (surtout Captain Marvel). Mais elle peine à trouver sa place à la maison comme au lycée, jusqu’à ce qu’elle se découvre des superpouvoirs, semblables à ceux de ses héros. Elle se dit alors, peut-être de manière un peu prématurée, que tout va s’arranger. »

Kamala Khan n’est pas en réalité le premier personnage musulman des comics. Il l’est seulement dans une série télé. Dans la série animée Young Justice, traduit en français par La ligue des justiciers : nouvelle génération, le personnage de Halo avait fait son apparition dans la troisième saison en 2019.

Halo, dans la série animée Young Justice en 2019.

Halo est une jeune adolescente, produit de deux entités, mariage entre une âme humaine, Gabrielle Adou, et une entité informatique extra-terrestre. Halo, caractéristique essentielle, est voilée et conserve son voile dans la quasi-totalité de ses apparitions.

La série ne développe pas réellement cette dimension religieuse du personnage car Halo a perdu la mémoire, ne conservant son voile que parce « ça lui fait du bien ».

La méthode des studios Disney

D’un autre côté, cette création de nouveaux personnages musulmans n’a en soi rien de surprenant.

Disney est une entreprise dont le but est de faire du profit. Disney vend du spectacle, du divertissement, de l’évasion. Et pour vendre beaucoup, il faut viser large. La conquête de toutes les parts de marché implique une politique inclusive totale, la plupart du temps sans aucune finesse.

De manière très grossière, les spectateurs découvrent dans les séries, les animés ou les films les plus en vogue la même équation : un casting dans lequel figurent un homme blanc ou une blanche, un(e) noir(e), des personnages à l’esthétique attrayante masculin et féminin, un personnage obèse, un(e) homosexuel(le), un autre plus âgé.

Tous les profils de la société doivent être simultanément présent pour que chaque spectateur potentiel puisse s’identifier à un personnage et à travers lui au programme. Les mécanismes psychologiques d’adhésion au contenu visuel proposé sont un moyen et – en tant que tel – ils servent une seule fin : la suprématie culturelle du capitalisme de marché.

L’anthropologie du désir

L’adhésion par l’addiction, l’extension par l’addition, ces moyens de prédation psychique ne sont pas seulement des outils de réussite au profit de Disney ou d’une autre major. Ils redessinent et redéfinissent les contours d’une nouvelle identité globale, mondiale, américaine.

Cette identité ou modalité d’adhésion addictive est centrée fondamentalement sur l’égo et sa satisfaction. Le modèle anthropologique de cette manipulation capitaliste quasi scientifique du grand public repose entièrement sur le désir, la passion, la jouissance, mais encore la peur, la colère, la convoitise, la violence…

Rien de bien nouveau sous le soleil du capitalisme, nous rétorquera-t-on.

Il n’est pas néanmoins inutile de rappeler comment se dessine cette architecture de contrôle, d’incitation maximale, et de conversion à ce que Roger Garaudy appelait « la religion du marché ».

La nouvelle production Marvel nous en donne l’occasion. Miss Marvel brosse le portrait d’une ado en manque d’intégration, mal à l’aise avec son environnement social, et qui compense cette inadéquation existentielle par une imagination débordante.

Kamala Khan : « Ce n’est pas une fille de couleur comme moi qui sauvera le monde »

Comme toutes les ados, Kamala, américaine d’origine pakistanaise, se sent inadaptée au monde et ses amis la trouve « étrange ». Ce qui ne l’empêche pas comme tous les autres de découvrir la force du désir et des premiers émois amoureux.

Mais Kamala Khan comme toute bonne « américaine » veut sauver le monde, et le monde désigne toujours les Etats-Unis, et se résume à son centre, New-York (Jersey city est à la périphérie new-yorkaise), la seule véritable capitale du monde globalisé.

Une énième expression du complexe de supériorité culturelle américain, produit d’un messianisme sécularisé, dont la niaiserie n’a pas épuisé le registre.

Le désenchantement que le contact avec la réalité lui impose ramène pourtant Kamala à ce constat : « ce n’est pas une fille de couleur comme moi qui sauvera le monde », comprend-elle. La problématique raciale est parfaitement intégrée au narratif de Disney.

Tout est évoqué en demi-teinte, en petite touche, en suggestion. « J’ai passé trop de temps dans un monde imaginaire » confesse la protagoniste au moment où se succède au montage les images d’une prière collective à la mosquée et celles où la jeune fille arbore une tenue de super-héroïne.

Certains y liront une double allusion sibylline à la critique matérialiste de l’illusion religieuse mais encore à l’impuissance d’une vie fantasmée et non réalisée.

La conquête américaine de l’espace imaginaire

Fort heureusement, les studios Marvel ne décrivent jamais un problème sans nous en vendre la solution. La solution est de vivre son fantasme en le mettant en scène.

Le narcissisme de la gloire personnelle, la satisfaction de se distinguer des autres d’autant mieux célébrée qu’elle est justifiée par l’héroïsme méta-humain : Disney sait faire vivre au public un moment d’évasion à mi-chemin entre la souffrance à laquelle nous confronte la réalité et l’adrénaline du fantastique, un moment qui sait tirer toute sa force de ce contraste.

« L’imagination, cette maîtresse d’erreurs » au dire de Pascal est le terrain de chasse favori de Disney. Qui n’a pas été formaté par les productions animées de la holding américaine ? Pris de vitesse par les Japonais qui ont très tôt conquis le marché de l’animé par le manga, la riposte opérée grâce aux superproductions cinéma gavées d’effets spéciaux a permis de renverser la tendance. Et pour les Américains de conserver le monopole de l’influence culturelle.

Une influence qui a su se raffiner. Fini l’époque de la rupture culturelle brutale et des stéréotypes racistes sur le méchant barbu islamiste, terroriste. La woke attitude est passée par là.

Le héros est une héroïne. La société américaine et son économie de marché fonctionnent à plein régime et savent vendre du « rêve américain » à ceux qui peuvent se payer l’entrée.

Woke attitude et féminisme intégral

Le melting-pot est la solution et le libéralisme, une doctrine du salut. New York, cette Babylone des temps modernes, nous saturent à souhait de légendes personnelles et d’idolâtrie de soi à profusion. Toutes les idéologies, les modes, les convictions, les velléités identitaires ont leur place dans le monde de Disney.

Le féminisme, narcissisme de genre, a pris la relève et les standards de femmes fortes capables de surpasser n’importe quel homme, y compris au combat, dominent toutes les productions. La sortie prochaine de la série Miss Hulk le confirme.

Les post-colonial studies et les idéologies antiracistes n’ont pas été oubliées. Une série sur l’assassinat odieux de Malik Oussekine en France trouvera son public grâce au bon samaritain hollywoodien qui veille au grain. Et au gain. Pour récolter, il faut savoir semer et faucher, et dans cet art, Disney est passé maître.

Le capitalisme sait accompagner les évolutions sociales majeures surtout lorsqu’il les a lui-même encouragé. La monté en puissance sociale des femmes, sur fond de sécularisation occidentale, de lutte contre le patriarcat et de promotion du féminisme comme idéologie de combat genré, a créé de nouvelles cibles marketing.

Le remplacement progressif à l’écran des rôles forts et dominants tenus traditionnellement par des hommes véhiculant des valeurs et des vertus telles que l’intelligence le savoir, le courage, la combattivité et la résilience, registre intégralement repris depuis par des femmes, illustre très bien cette capacité à nourrir les imaginaires du moment, à conforter les égos, à dilapider les portefeuilles.

La fonction normative de l’industrie du cinéma

On aurait pourtant tort de croire que le cinéma ne fait que décrire la supposée évolution naturelle des mœurs et des sociétés. C’est se leurrer que de le penser. Il prescrit, définit, inspire, suggère, oriente et dessine tout autant la carte de nos esprits, de notre imaginaire, et de celui de la jeunesse en particulier. Il ne se contente pas de représenter les modes et les diverses tendances idéologiques. En leur assurant une diffusion planétaire, il contribue à banaliser les nouveaux standards et à redéfinir les nouvelles normes sociales, sous réserve qu’elles soient toujours compatibles avec l’esprit du capitalisme.

Une influence accentuée au possible par le fait que l’humanité a atteint un niveau de dépendance à l’égard de la technologie qui n’a jamais été égalé dans l’histoire. Une dépendance pernicieuse dont on ne mesure qu’à peine les conséquences sur sa liberté, sa santé et son équilibre général. Une nouvelle ère sinistre a commencé. Chacun le sait, le sent bien sans savoir que faire. La fatalité est l’alibi favori de l’impuissance.

Alors ? Alors oui, Miss Marvel/Kamala Khan trouvera certainement son public, frêles et fragiles papillons qui auront toutes les peines à échapper aux bouquets de lumières, aux explosions de joie colorées du grand écran, au contraste savamment alterné entre désir profond et frustration amère, à ce miracle industriel du super-pouvoir marvelien et de la renaissance mythiquement prométhéenne de l’Homme-dieu ou déesse.

« Réalise-toi, va au bout de tes désirs, ne laisse aucun obstacle se placer sur ta route, conquière les cœurs et les esprits, subjugue les Hommes pour qu’ils reconnaissent ta juste valeur et ne te satisfait jamais de leurs éloges car seule l’adoration te rendra justice. L’Homme est un dieu pour l’Homme. » Voilà en substance son crédo, l’esprit obscur de l’évangile annoncé par Disney.

Pandore et la mise en garde coranique

Et l’islam dans tout ça ? Le pedigree musulman de Kamala Khan est-il vraiment compatible avec cette fuite en avant narcissique de l’individu ? On ne peut, en effet, s’empêcher de penser que la force de l’esprit islamique, sa pureté monothéiste, sa remise confiante intégrale en la volonté du Dieu unique, et l’action puissante qu’elle lui confère sur le monde, ne cadre pas avec le message de Disney. Non seulement, il ne s’accorde pas avec lui mais bien plus il le contredit radicalement.

Le Coran ne cesse de mettre en garde contre l’idolâtrie de la passion et les effets dévastateurs de l’hubris à laquelle renvoie la notion de taghût, boîte de pandore.

-« Ne vois-tu pas celui qui a fait de sa passion sa propre divinité ? » (25/43).

-Il (Abraham) dit : « Vous n’avez adopté des idoles à la place de Dieu qu’en raison de l’affection mutuelle que vous vous portez en ce monde. Plus tard, au Jour de la Résurrection, vous vous renierez les uns les autres, vous vous maudirez les uns les autres ; alors, votre refuge sera le Feu et vous n’aurez personne pour vous porter secours. » (29-25)

L’islam, dans le narratif cinématographique américain, ne peut jamais être commercialement exploité comme un vecteur de libération et d’accomplissement car la libération et l’accomplissement offerts par l’islam le sont sur le plan spirituel, éthique, intellectuel, social et personnel. Des registres désinvestis par l’industrie cinématographique qui vont au contraire cultiver allègrement le culte de l’individualité, de la passion, de la vanité et de la transgression sous toutes ses formes pour en récolter les bénéfices en termes de consommation.

Le culte du désir mène à la consommation, croquer le fruit défendu est son slogan (Gleeny, « leader européen de la rencontre extra-conjugale », comprenez leader de la promotion de l’adultère, a repris le logo de la pomme. Apple également, en référence à New-York dont le surnom est « La grosse pomme ») quant toute spiritualité authentique pousse l’Homme à se libérer de la servitude où le conduise ses passions pour le réintégrer dans la douceur apaisante et la pureté de la présence divine originelle.

Désamorcer la charge spirituelle de l’islam

L’islam sera donc présenté comme un obstacle à l’avènement factice de l’Homme-dieu et d’autant plus efficacement qu’il le sera par la médiatisation exponentielle de ses formes extrémistes, systématiquement privilégiées par l’industrie cinématographique, jusqu’à récemment.

A présent, l’émergence d’héroïnes musulmanes permet un déplacement de la figure héroïque de l’homme vers la femme. Musulmanes, certes, mais d’apparence seulement. D’aucuns parleront de racialisation de l’islam, l’islam étant défini exclusivement comme relevant d’indicateur ethnique ou ethnoculturel.

Que ce soit le personnage d’Halo ou de Miss Marvel/Kamala Khan, l’islam ne joue absolument aucun rôle particulier, a fortiori positif dans leur action, leur vision du monde, leurs combats. Il apparait au mieux comme un héritage vestimentaire ou culturel sans envergure. Au pire, comme une entrave à l’épanouissement de l’individu, un poids obsolète dont il faut se délester pour ne pas couler dans l’océan imaginaire des fantasmes de la production Marvel.

Mais pour les majors, l’essentiel est atteint : la mise sur orbite de personnages musulmans(es) d’apparence va lui garantir un public par mimétisme et principe d’identification. Une image, parmi d’autres, intégrée dans le décor. Une notion désamorcée de sa charge spirituelle.

Cette dernière insertion des héroïnes musulmanes illustre à merveille l’intégration de l’intersectionnalité dans le champ capitaliste qui a su en épouser tous les codes en les manipulant psychiquement et en les dosant soigneusement comme un alchimiste distille et manipule la matière.

L’ultime rempart

La religion traditionnelle incarnée aujourd’hui par l’islam a constitué de tout temps un rempart à la « libération » intégrale du désir de l’Homme, masque fallacieux d’une tyrannie réelle, et à la réalisation de la destinée de l’Homme-dieu promu par les marchands du temple, ceux qui en obstruent l’accès.

La prédominance d’une morale à la fois personnelle et collective. L’importance accordée à la pudeur, non pas seulement dans la gestion de son corps mais encore dans son attitude posée, éduquée, dans sa prestance et son intelligence, toutes attitudes nobles de l’humain transcendant sa grossière animalité. Mais encore la centralité de l’amour divin, de la piété et de la crainte révérencielle de Dieu ont définitivement désespéré les producteurs de toute possibilité d’exploiter davantage l’hypersexualisation du corps de la femme vers ce type de public, a fortiori vers les plus éduquées d’entre eux dont les femmes bien évidemment.

Idem pour l’idéologie lgbtiste qui impose ses standards dans un mariage pour tous avec l’industrie capitaliste hautement profitable. Pour la première, ce mariage garantit une reconnaissance sociale de sa volonté de suprématie sexuelle et de sa passion contre-nature, banalisée dans l’esprit des jeunes. Pour la seconde, qui se gausse de son contrat de mariage, elle lui assure une rente, une nouvelle part de marché. La tentative de hauts fonctionnaires dans les pays du golfe de négocier la diffusion de certains Marvel (Docteur Strange par exemple) en échange d’une suppression de dialogue normalisant l’homosexualité en est un bon exemple.

Les métamorphoses de Satan

La dissolution du corps social, du corps familial, la défection de l’esprit et de l’intelligence servent à dessein cette entreprise de prédation capitaliste. Ce qui unit s’oppose à ce qui divise et se divise. La division entraîne une multiplication qui favorise la consommation. Ce que les membres d’une famille peuvent se partager, des individus isolés se devront de l’acquérir chacun. L’intelligence de l’Homme lui permet d’échapper aux manipulations et la spiritualité vivante purifie son cœur des mauvais penchants en lui offrant des repères sains et solides.

Tous les termes de l’équation capitaliste sont là. Mais, pour conclure, il faut bien comprendre que l’esprit du capitalisme n’est que la manifestation contemporaine d’un phénomène plus ancien rattaché à une entité célèbre, dont l’évocation nous conduit d’emblée dans une perspective beaucoup plus large et plus intéressante.

« Consommer le fruit de l’arbre, c’est-à-dire l’assimiler à soi, rendrait l’Homme immortel et à l’égal de Dieu (« comme des Dieux », selon la formulation biblique) », écrivions-nous dans un précédent article sur les sens convergents de la notion de possession. Une référence symbolique capitale que l’on retrouve également dans le Coran, dans cet épisode notoire où Satan déclare au Premier couple humain : « Votre Seigneur ne vous a interdit cet arbre que pour vous empêcher de devenir des anges ou de devenir immortels » (Coran : 7, 20).

Rappelons que le diable, du latin diabolos, terme dérivé du grec δ ι α ϐ ο λ ι κ ο ́ ς, signifie « celui qui divise » ou qui « désunit », ou encore le « calomniateur » et qui s’enrichit de cette désunion. La boucle est bouclée.

Fouad Bahri

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