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lundi 23 décembre 2024

Mustapha Chérif : Al wassatiya, la médianité de l’islam

Ecrivain, philosophe, Mustapha Chérif introduit sur Mizane.info la notion de juste milieu en islam. « Le concept d’« al-wassatiya », écrit-il, la médianité, question centrale comme son nom l’indique, n’est pas assez pensé. Il est lié à celui de l’unicité du Créateur, « Tawhid ». »

« C’est ainsi que nous avons fait de vous une communauté médiane, afin que vous soyez témoins à l’encontre des hommes et que l’Envoyé soit témoin à votre encontre… » (Coran II- 143). Le monde a plus que jamais besoin de revenir à la voie médiane du chemin droit. Le concept Ummatu al-wassat, la communauté médiane, juste, de la rectitude, cité par le Coran une seule fois sous cette forme, définit la somme des croyants musulmans, dans sa singularité.  En son sein, durant des siècles, la compréhension de ce concept, a été intériorisée. L’islam, religion, civilisation et culture, non seulement émancipe l’homme mais le responsabilise afin de réaliser la communauté médiane.

S’il y a un concept qui caractérise l’islam, dans sa singularité et son universalité, c’est celui de « médianité ». Il concerne les aspects de la religion et de l’existence, le culte et la vie sociale, individuelle et collective, dans toutes ses dimensions. Interroger ce concept, c’est expliquer ce qu’est l’islam. La plupart des versets coraniques et des dires du Prophète, qui enseignent comment adorer le Divin, se comporter et vivre, concernent le concept de la voie médiane.

Condition terrestre et devenir dans l’au-delà

Aujourd’hui la dimension fondamentale de la « médianité », al-wassatiya, est remise en cause par des extrêmes. Bien que des dérives internes et des préjugés externes datent de quinze siècles, jamais l’image de l’islam n’a été autant déformée. Par les uns, des réactionnaires, archaïques, usurpateurs du nom, et par les autres, des non-musulmans portés par l’ambition d’hégémonie.

Il ne suffit pas de proclamer que l’islam est la religion du droit chemin pour être compris. Il y a lieu de l’expliquer et de faire preuve d’un comportement digne. L’islam, ce méconnu, se préoccupe à la fois de la condition terrestre et du devenir de l’humanité dans l’au-delà. Notre époque, qui est dominée par l’extrémisme, mérite de retrouver la voie de la rectitude, celle de la communauté médiane.

Il reste à interroger les références fondatrices, le Coran et la Sunna du Prophète, ainsi que l’histoire de l’islam, pour comprendre ce concept, l’interpréter et le mettre en pratique. Notre temps est celui des excès, du « culte du Veau d’or », de l’oubli de l’éthique et des prophètes, de la négation de la sacralité de la vie, de la profusion de l’athéisme dogmatique, et celle des fanatismes, des usurpations du nom, des faux croyants : « au point qu’ils démolirent à l’aide des croyants leurs demeures avec leurs propres mains. Méditez cette leçon, vous qui êtes doués d’intelligence ! » (Coran 59.2).

Une partie des problèmes des musulmans découle d’une incompréhension du concept de « communauté médiane ». Notre époque, celle des incertitudes, est aussi celle des opportunités, de la science, de la recherche de la justice et de la sagesse de la vie. Il devrait être possible aujourd’hui de restaurer une humanité de l’équilibre, de la mesure, de la communauté médiane. Dans ce sens, le Coran met en garde contre les excès : « O Mes créatures qui avez été excessives envers vous-mêmes, ne désespérez pas de la Miséricorde de Dieu » (39.53).

Il insiste sur le lien, sans confusion, ni opposition, entre les différentes dimensions de l’existence : religion et monde, corps et esprit, cœur et raison, temporel et spirituel, l’un et le multiple, l’individu et la communauté, la liberté et la loi. A contrario du monde actuel qui sépare tout. Le Coran donne une version singulière, ouverte et nuancée, de différentes manières, de ce qu’est la « vérité ».

La possibilité d’une autre société

Les discours dominants, au contraire, sont marqués par des prétentions, des contresens et des mésinterprétations. Chacun croit détenir la « vérité », toute la vérité ! La posture rigoriste fige la Parole révélée et rate la possibilité de l’interprétation. D’un autre côté, la vision occidentalisée, historiciste et matérialiste, prétend que la notion « d’islam » est une élaboration ultérieure au temps prophétique et appelle à remettre en cause des valeurs essentielles. L’islam, méconnu et déformé, à cause de contre exemples dramatiques et amplifiés, et de l’histoire contradictoire du monde moderniste, rappelle que nul n’a le monopole de la vérité.

Ce point de départ ouvre la possibilité d’un autre type de société, d’un vivre ensemble, de la Cité juste. Sa version dépasse la notion de tolérance qui ne fait que supporter. Il rend possible la reconnaissance du droit à la différence et d’une autre approche de la connaissance. Il appelle à affronter rationnellement l’épreuve du vivre et du pluralisme, en annonçant la finalité : « La vie dernière est meilleure pour toi que la vie ici-bas » (93.4).

Les musulmans aspirent à la voie juste, droite, médiane, qui est oubliée au point de sembler nouvelle, où leur vérité, « révélée », présentée comme parfaite, n’exclue pas la part que les autres peuples et communautés détiennent : « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté, mais Il a voulu vous éprouver par le don de la différence, rivalisez donc d’efforts par l’émulation, dans l’accomplissement de bonnes œuvres, car c’est vers Dieu que vous ferez tous retour, et Il vous éclairera alors sur l’origine de vos différents ». (5.48)

La « médianité » n’est pas le repli sur soi ou l’imitation aveugle. Ni le rigorisme, ni l’occidentalisme. Ces approches ratent la possibilité d’une humanité équilibrée, d’une communauté ouverte et perdent de vue la cohérence du discours coranique et de l’exemple prophétique.

Le refus du débat, l’orgueil et la prétention à détenir la vérité unique caractérisent les voies extrêmes. Le Coran répond qu’il ne faut point s’abandonner à la lassitude face aux orgueilleux : « S’ils sont trop orgueilleux pour adorer leur Seigneur, qu’ils sachent que ceux qui sont proches de Lui célèbrent Ses louanges nuit et jour, sans jamais éprouver de lassitude » (41.38)

La médianité de l’islam entre deux abîmes

Le concept de « communauté médiane », dans laquelle nous nous reconnaissons et dont nous nous efforçons de traduire la singularité, permet de constater qu’aujourd’hui le musulman est pris entre deux abîmes, deux formes d’exclusions et de prétentions à détenir l’unique « vérité » : celle du libéralisme sauvage et celle du fanatisme religieux. La ligne médiane, sans relativisme, au sujet du sens de l’humain, peut desserrer l’étau dans lequel les extrêmes veulent l’enfermer.

Le concept d’« al-wassatiya », la médianité, question centrale comme son nom l’indique, n’est pas assez pensé. Il est lié à celui de l’unicité du Créateur, « Tawhid ». « Croire » c’est témoigner que « Dieu », le Créateur, est Un, Unique : « il n’y a pas de dieux sauf Dieu », que tout est relatif sauf l’Absolu et témoigner que le Prophète est son envoyé, ce qui renvoie à la mise en pratique de la voie, médiane, la Sunna, pour exister en vérité. Cette ligne n’est ni un compromis fragile, ni une logique de concession, mais un souci de cohérence, de totalité et de justesse.

Le concept de « médianité », que nous allons expliquer, s’appuie sur le refus de toute injustice, de tout excès et de toute idolâtrie. Il responsabilise et privilégie l’humain et appelle la communauté musulmane à être digne de son statut de témoin et d’excellence. Il se veut libérateur. À partir de la profession de foi, témoignage qui doit irriguer toute l’existence de chacun, rien ne vient faire écran entre l’humain et son origine et devenir. Il y a le monde et l’au-delà du monde, liés. Nous savons que le mot « monde » ne recouvre pas le même sens selon la pensée moderne et selon le monothéisme.

Pour forger une humanité juste, une et diverse, le Coran propose le concept de « médianité », comme orientation première vers le « Vrai ». Il est du devoir de tout intellectuel, de tenter d’approfondir l’orientation fondamentale de « la communauté médiane ». Elle nous interpelle depuis longtemps.

Le concept central « al-wassatiya », présenté par le Coran et la Sunna comme la méthode pour apprendre à vivre de manière juste, surmonter les épreuves de l’existence et parvenir au statut d’humanité excellente, devrait retenir notre attention, d’autant qu’aujourd’hui des musulmans l’ont oublié : « Car ce ne sont pas les regards qui sont aveugles, mais sont aveugles les cœurs qui sont dans les poitrines » (22.46)

L’islam et le sens de la Umma

Sur le plan religieux, l’islam oriente les croyants et fait éclore des pratiques cultuelles équilibrées et précises, qui respectent la nature humaine et son souci d’harmonie, de totalité et d’équilibre. Ni formalisme, littéralisme et fidéisme, qui produisent du rigorisme, ni laxisme libertaire et perte de repères qui vident de leur sens la Loi religieuse. La communauté « médiane » signifie d’abord que l’extrémisme et la désorientation sont l’anti-religion : « Ô Gens du Livre, n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites sur Dieu que la vérité » (4.171)

Le concept de « wassat » qualifie donc la communauté islamique, l’Umma. Le Coran précise le statut de faveur de l’Umma par trois critères : 1- Elle est la dernière en date sur le plan chronologique de l’histoire du salut, liée au caractère final et protégée par la révélation coranique. 2- : L’Umma a la fonction de témoin, sur le plan du rapport à l’humanité, et du témoignage du Prophète vis-à-vis d’elle. Et 3- Elle est censée pratiquer l’équité, recommander le bien et dénoncer l’illicite.

Le terme « al-wassat » linguistiquement est riche, polysémique. Il signifie plusieurs dimensions fondamentales : la médiane, le juste, la justice, l’équité, le meilleur, le supérieur, la qualité, le noble, l’exemple, le centre, le cœur, le juste milieu, la droiture, la rectitude, le lien. Le dictionnaire « Lissân al-‘arab » définit « al-wassat » principalement comme le meilleur et l’équitable.

La notion de « communauté » signifie l’ensemble des croyants musulmans, par-delà leurs origines ethniques, leurs cultures et leurs nationalités. Elle n’exclue ni la diversité des situations, ni la pluralité des opinions. « La Umma » intègre la dimension de «peuple», qui est reconnue et affirmée par le Coran. Le sens de « communauté » transcende toutes les différences, admises comme richesses.

Plus encore, la Umma islamique se veut ouverte à toutes les autres communautés religieuses et culturelles pour viser la communauté globale : l’humanité tout entière. L’Umma islamique devrait avoir pour souci de donner l’exemple de l’humanisme authentique et de la cité juste, qui témoigne avec hauteur de vue de son sens plénier de l’existence. Cela veut dire que l’Umma, en témoignant de sa foi, tout en recommandant le bien, dénonçant le blâmable et pratiquant l’équité, peut être la meilleure dans l’effort pour adorer, connaître et faire connaître Dieu…

Mustapha Chérif

Retrouvez l’intégralité de cette réflexion dans le livre de Mustapha Chérif, « Le principe du juste milieu » (Albouraq).

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