Dans une tribune publiée par Mizane.info, le rabbin Gabriel Hagaï clarifie la différence conceptuelle entre une démarche de maturité spirituelle engagée dans un dialogue interreligieux et la perspective proposée par le libéralisme religieux.
Je pense qu’il est important de ne pas confondre une ouverture spirituelle (que je prône) avec une attitude libérale de la religion (que je dénonce), comme le font malheureusement de nombreuses personnes. Les deux choses sont très différentes.
Je m’explique : j’appelle “maturité spirituelle” le fait de savoir reconnaître chez les autres religions (ou spiritualités) que la sienne une véritable authenticité – c.-à-d. de reconnaître que toutes sont des voies légitimes qui mènent au même but, au-delà des apparences extérieures parfois très différentes. Tout en restant très attaché à la pratique de sa propre religion, on reconnaît que toutes les spiritualités sont des révélations divines – leurs différences extérieures, souvent très importantes, étant dues aux disparités contextuelles de culture, de langue, d’histoire, de climat, etc. Il faut bien comprendre qu’une religion – pour rester vivante – n’a de sens qu’incarnée dans l’être humain, car elle a été donnée pour lui, et non le contraire. C’est à l’image de quelqu’un qui pointe du doigt pour nous montrer la bonne direction. L’imbécile regarde le doigt (i.e. la lettre, la forme), alors que le sage regarde dans la direction vers laquelle le doigt pointe (i.e. l’esprit, le fond).
Certes, chaque système religieux est en lui-même exclusif – car légitime dans sa cohérence propre – mais par rapport aux autres, et surtout par rapport à Dieu, il perd son caractère absolu. Au niveau de Dieu, toutes les vérités révélées sont vraies et toutes coexistent en Lui et par Lui. La vérité d’une voie n’entraîne pas la non-vérité de l’autre. Les religions sont toutes égales ; aucune n’est supérieure ou inférieure à l’autre, juste différente. Pour paraphraser le Père Christian de Chergé (1937-1996) : servir Dieu autrement ne signifie pas servir un autre Dieu.
Par contre, le “libéralisme religieux” est l’abandon sans discernement de certains dogmes et pratiques normatives de sa tradition religieuse. On enlève ce qui dérange au gré des modes du politiquement correct, sans réelle justification spirituelle. Cette attitude libérale prône un relativisme dangereux qui mène à un renoncement des structures transformatives traditionnelles et à une confusion spirituelle – jusqu’au point de ne plus être capable d’élever le pratiquant à réaliser sa nature divine. C’est une véritable arnaque ! Le libéralisme ne propose plus un chemin complet de transformation spirituelle, il dénature l’essence même de la spiritualité en transformant la religion en un “club social” basé sur les sciences humaines (psychologie, sociologie, histoire, etc.). Aucune branche libérale n’a d’ailleurs jamais produit ne fusse qu’un(e) saint(e) – ce qui est un signe évident que l’Inspiration Divine n’y est pas présente.
Par exemple, c’est désormais la mode parmi les courants religieux libéraux de forcer l’adhésion à un cahier des charges précis concernant les LGBTQ, histoire de se démarquer des branches orthodoxes originales de leurs religions respectives. On est passé ici du respect des minorités LGBTQ (que tous devraient avoir) à la promotion active !
Comme vous l’avez compris, je pense que ce libéralisme est dangereux. Pour conserver la pertinence de sa tradition sacrée, il est nécessaire de rester strict, ou rigoureux, dans sa pratique religieuse et dans son engagement spirituel. Il faut garder l’esprit dans la lettre, sachant que la forme sans fond est vide, et que le fond sans forme pour le contenir n’a pas de sens. Rien à voir avec le fait que parfois il existe la nécessité de transgresser la lettre pour accomplir son esprit à un niveau supérieur. Cette transgression n’est alors qu’apparente. C’est ce que dit le verset (Psaumes CXIX:126) : « ˁÉth laˁasôth la-YHWH héféru Tôrâthèkhâ (Quand il faut agir pour l’Éternel, qu’ils transgressent Ta Torah). » – pas selon son sens littéral (peshâṭ) mais selon son derâsh (sens homilétique).
Ceci dit, en tant que religieux, il ne nous faut pas oublier de rester à la tête des progrès de l’humanité. Nos religions ont toujours été en avance sur leur temps, ou l’avaient été à leur naissance. Il est essentiel que cela continue. Deux courts exemples : De nombreuses lois de la Torah ont été données en réaction aux pratiques magiques et superstitieuses de l’idolâtrie de l’époque afin d’éloigner les gens de celles-ci – comme l’explique magistralement Maïmonide dans son “Guide des Égarés”. Également, le Coran a donné des droits aux femmes qui étaient impensables dans l’Arabie antéislamique. De nos jours, les religions se doivent aussi d’être “en avance”, d’être sur le front de la défense des droits de tous les opprimés. Comme il est dit (Deut. XVI:20) : « Ṣedheq ṣedheq tirdof (justice, tu poursuivras la justice) ! » ; et (Deut. XXX:15-19) : « Wuvâḥartâ ba-ḥayyîm (tu choisiras la vie). » Les religions doivent continuer de faire évoluer l’humanité dans le bon sens, plutôt que d’être un ramassis de coutumes archaïques et dévalorisantes qui renient les acquis du monde moderne.
Que Dieu nous guide dans Sa Voie, afin que se réalise en nous ce verset (Lévitique XIX:2) : « Qedhôshîm tihyû ki qâdhôsh Anî YHWH Elôhêkhèm (soyez saints, car Moi, l’Éternel votre Dieu, Je suis saint). »
Gabriel Hagaï