Le maire de Nice, Christian Estrosi, a interdit le 12 mai dernier à l’assureur Noorassur tout affichage de la mention finance islamique sur la devanture de ses boutiques. Un préjudice contesté par Sonia Mariji, PDG de Noorassur. Mizane Info a voulu en savoir plus sur les raisons de cette décision politique et sur l’avenir de la finance islamique en France. Entretien.
Christian Estrosi a interdit à Noorassur d’afficher à Nice la nature de son activité au nom de la défense de l’ordre public. Comment avez-vous réagi à cette décision ?
Les raisons invoquées m’ont choquée et scandalisé par la nature des termes utilisés dans le courrier. Semer un trouble à l’ordre public ce n’est pas rien. Estrosi promet à mes collaborateurs et mes futurs clients l’agression. Cela va très loin. C’est une atteinte à la liberté d’entreprendre. Estrosi nous fait un portrait des Niçois qu’il présente comme racistes. Je ne peux pas croire à cela. Ce qui est sûr c’est qu’au cours des événements tragiques sur la promenade des Anglais, il y avait aussi des victimes musulmanes qui sont tombées c’est donc une injure.
Courrier de Christian Estrosi à Noorassur.
On fait un amalgame entre la finance islamique et le terrorisme. Cela n’a rien à voir. La finance islamique est une alternative à la banque traditionnelle et son éthique n’a ni couleur ni religion. Elle offre des opportunités d’emplois, d’entreprenariat. Chaque franchise ouverte génère de l’activité et donc de l’emploi. C’est la thématique qui change mais le métier de conseiller financier est réglementé. La finance islamique est légiférée en France depuis 2008 sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, avec Christine Lagarde ministre de l’Economie, un gouvernement dont faisait partie… Christian Estrosi ! Il n’avait pas protesté.
Vous le souligniez : la finance islamique est légale en France, elle est même enseignée à l’université Paris Dauphine et à Strasbourg. Dans ce contexte, que symbolise pour vous cette interdiction ? Fera-t-elle jurisprudence ?
Je ne pense pas. Cette décision est isolée, celle d’un homme qui veut faire parler de lui. Cette décision est islamophobe à partir du moment où il y a un amalgame. On est dans l’hystérie. Pourtant, la finance islamique ne représente pas une menace pour les valeurs républicaines. Pour preuve : la première place internationale de la finance islamique est à Londres, grande capitale européenne. Les Anglais ne sont pas plus bêtes que nous ou moins au fait de leurs intérêts. Au contraire, ils ont été plus loin car ils ont compris ce qu’était la finance islamique. Nous travaillons avec des grandes compagnies françaises de premier ordre reconnues par le Trésor public et qui ont les mêmes garanties que n’importe quelle banque française. Nos clients sont des résidents fiscaux français. Pour ouvrir un contrat chez nous, il faut habiter en France. Noorassur permet à des gens d’entreprendre sans aucune discrimination.
Vous avez saisi le tribunal administratif. Votre avocat estime qu’Estrosi ferait le lien entre terrorisme et finance islamique. La lettre de Christian Estrosi évoque des précédents de trouble à l’ordre public devant vos agences de Nantes et Chelles. Qu’en est-il réellement ?
La municipalité essaie de se raccrocher à quelque chose et trouver des raisons d’expliquer l’inexplicable. Il y a un peu plus d’une année, à Nantes, nous étions en plein travaux pour ouvrir une agence Noorassur. La vitrine du bureau a été caillassée un dimanche on ne sait pas par qui. Nous avons porté plainte. Tout ce que l’on sait c’est que la veille, un groupe d’extrême-droite avait été interdit de manifester. On ne sait pas s’il y a un lien. C’est le seul incident que nous avons rencontré. Nous n’avons subi aucun autre problème, ni agression physique, ni injure verbale. S’il y a trouble à l’ordre public, c’est à lui de nous protéger.
Craignez-vous néanmoins à titre personnel d’autres incidents contre votre agence de Nice ?
Oui nous avons cette crainte pour nos collaborateurs de Nice mais à cause de cette affaire Estrosi. Ce que fait Estrosi est dangereux alors même qu’il est là pour représenter l’Etat. Le seul moyen pour nous est de faire valoir nos droits devant un tribunal comme pour l’affaire du burkini.
Comment voyez-vous l’avenir de la finance islamique en France ?
Je la vois d’un bon œil. Nous avons en France la communauté musulmane la plus importante d’Europe occidentale. Un rapport de Charles Milhaud mentionnait il y a une dizaine d’années que 8 milliards d’euros de revenus de Français quittaient chaque année le territoire vers les pays d’origine. Si nous parvenions à capter une partie de cet argent en France, cela serait bénéfique. Si demain les gens peuvent acheter leur maison, s’assurer tout en respectant leur éthique. Pas besoin d’être musulman pour se reconnaître dans les valeurs de la finance islamique. Pour cela, il ne faut pas se ghettoïser et vivre en centre-ville, devenir visible, transparent et ne pas tomber dans l’étiquette du communautarisme.
Malgré les réformes légales accomplies, les banques françaises ne semblent toujours pas intéressées par ce marché en plein développement…
Il y a beaucoup d’hypocrisie de la part des banques françaises. La finance islamique représente mille milliards de dollars. Or, il y a trois banques (Société Générale, BNP Paribas, Crédit Agricole) qui ont aujourd’hui une expertise importante sur la finance islamique. Ils ne distribuent pas leurs services en France mais à l’étranger pour la gestion de fonds d’une certaine clientèle fortunée. Pourquoi ne pas proposer ces services à une clientèle française ? Est-ce normal ?