Noumane Rahouti est docteur en psycholinguistique et sociologie de l’éducation à l’université d’Oklahoma. Il est également l’auteur de « La France des principes et la France des coutumes : l’avenir de l’Afro-Maghrébin dans la France du 21e siècle » aux éditions Les points sur les i. Un ouvrage qui aborde la question des valeurs et de l’ancrage dans une France multiculturelle, toujours hantée par la pureté de ses origines. Mizane Info a lu l’ouvrage et vous en dit quelques mots.
Noumane Rahouti aime la France et ne l’a pas oublié. Ce fils d’immigrés marocains, parti étudier aux Etats-Unis à 20 ans, a obtenu la réussite sociale qu’il méritait, son rêve américain. Devenu docteur en psycholinguistique et sociologie de l’éducation à l’université d’Oklahoma, il partage, depuis, sa vie entre les deux rives atlantiques. La distance entre la Floride où il vit et la France d’où il vient lui a entre-temps inspiré une réflexion sur la condition de l’Afro-Maghrébin. Une sorte de va et vient entre deux modèles culturels, le multiculturalisme anglo-saxon et l’intégrationnisme français, dont il formule une sorte de synthèse.
Entre coutumes et principes, le dualisme politique de la France
Le livre présente d’abord ce qu’il identifie comme étant deux pôles déterminants de la vie politique et morale française : la France des principes et la France des coutumes. La première défendrait des principes (liberté, égalité, fraternité) quand la seconde valoriserait un passé et des traditions. La dialectique entre ces deux pôles serait caractéristique de la France contemporaine et constitutive de la trame existentielle des Français issus de l’immigration post-coloniale. Une sorte de réactualisation du dualisme classique dans l’histoire politique française entre République et Nation. « Tandis que la France des coutumes prétend observer les principes dans son histoire, la France des principes lui répond que ce ne sont pas des principes à proprement parler mais plutôt une manifestation de ses principes que l’on peut observer dans son histoire mais également dans celle des autres (…) Une coutume est une interprétation contextualisée d’un principe », écrit-il.
Avant de me débarrasser de l’oppression dont je suis la victime, je me débarrasse de l’oppression dont je suis l’auteur
Les formes complexes et non univoques de l’oppression
Pour Noumane Rahouti, cette identification d’un bipolarisme français entraîne dans son sillage celui d’un processus d’oppression de l’individu dans la société française qui émergerait naturellement de cette dialectique. A ceci près que l’oppression ne serait pas pour Noumane Rahouti un phénomène univoque. Chaque individu est susceptible de la reproduire à son échelle. Si un Français issu de l’immigration souffre du racisme de la société majoritairement « blanche », il peut lui-même reproduire cette forme d’oppression en la convertissant en oppression de genre sur une femme issue de l’immigration. L’oppression devient un processus caractérisé par sa continuité et son polymorphisme.
Cette grille de lecture devient chez Noumane Rahouti une méthodologie d’appréhension du phénomène complexe de l’oppression ciblant l’acte pour mieux dissuader l’auteur de l’acte. L’objectif étant de libérer l’oppresseur de son oppression au moyen d’une distinction opérée entre droit et privilège. « Avant de me débarrasser de l’oppression dont je suis la victime, je me débarrasse de l’oppression dont je suis l’auteur ». Cette posture implique de réévaluer à sa juste mesure les éléments de son identité pour vivre son rapport social à autrui dans la recherche d’une harmonie commune fondée en justice et non en prétention. « Être fier de son héritage sans pour autant en être l’otage, signifie que le tribalisme qui nous habite et qui est naturel doit être modéré et utilisé à bon escient sans quoi dans sa forme extrême, il sert la domination et non la justice (…) Ainsi moins parler d’islam et plus agir selon les principes, moins parler de démocratie et plus agir selon les principes sont tous deux le début du combat pour la libération ».
L’interculturalisme est la reconnaissance que les cultures ne sont ni hermétiques et ni figées, aussi bien dans le temps que dans l’espace
L’interculturalisme : une solution théorique au conflit des valeurs
Cette quête d’un vivre-ensemble authentique et juste passe également selon Noumane Rahouti par la nécessaire transformation du statut de la culture « dominante » de la société française à une culture « majoritaire » ouverte sur la contribution et l’apport culturel nouveau des Français récents. Ce qu’il nomme l’interculturalisme , un modèle de synthèse qui permettrait de dépasser le clivage insoluble entre un assimilationnisme français violent et un multiculturalisme anglo-saxon indifférent. « En étant majoritaire et non plus dominante, cette culture « invite » les cultures minoritaires et leur histoire, dans la sphère publique. Par contre, les cultures (minoritaires et majoritaires) ne sont pas juxtaposées comme le voudrait le multiculturalisme à l’américaine mas elles s’entremêlent faisant ainsi ressortir des similarités et des différences historiques, culturelles et sociales, des points de concordance et de discordance factuels (…) L’interculturalisme est la reconnaissance que les cultures ne sont ni hermétiques et ni figées, aussi bien dans le temps que dans l’espace ».
Lorsque l’opprimé et l’oppresseur dialoguent, ils utilisent la langue et par là même pratiquent la liberté
La langue, un instrument de liberté
L’ouvrage poursuit la réflexion en la posant sur le terrain de la pensée déconstructiviste, de la notion de loi, de la gestion des systèmes de valeurs conflictuels et se conclue finalement sur les enseignements personnels que lui a prodigué la psycholinguistique et les expériences de liberté commune que les humains peuvent tirer d’une pratique des langues. « Lorsque l’opprimé et l’oppresseur dialoguent, ils utilisent la langue et par là même pratiquent la liberté. Alors pendant un court instant, les différences économiques, physiques et politiques s’effacent pour laisser place à l’égalité accordée par le mot, accessible à tous (…) l’éducation constitue une forme de libération : parce qu’elle nous donne la langue, outil du dialogue, impératif de la liberté ».