Macron est toujours là. Il signe 5 ans de plus à la tête de l’Etat. Que s’est-il au juste passé et que peut-il encore se passé ? Un billet acide signé Fouad Bahri.
Nous avons mis Macron au pouvoir. J’ai beau tourner ces mots incessamment dans ma tête, rien n’y fait. L’inéluctable s’est bien produit. Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le pire quinquennat de la Ve république a pris fin le 10 avril. Pour se poursuivre aussitôt le 24 au soir.
Une extrême-droite à plus de 40 %. Une abstention à 28 %. Une France laminée, fatiguée, blessée. Que restera-t-il encore de cette Nation dans cinq ans ? Dans cinq semaines ? Qui vivra verra. Mais qui peut encore vivre sous un tel régime de prédation ?
Les 7 vies d’Emmanuel Macron
Macron, encore et toujours, donc. Golden boy issu de la jet set parisienne, banque d’affaires Rothschild. Introduit dans la France de Hollande, pays bas. Soutien des milieux d’affaires, unes médiatiques en cascade. La fabrique médiatique d’un politique, plus jeune président de la république. Le succès, le talent, le rempart contre la sorcière brune.
5 ans plus tard, la France se réveille et tremble. Une couche épaisse obscurcit l’horizon. La poussière soulevée par la colère sourde mais non muette se lève et s’abat sur le pays. L’extrême droite est toujours là et avance. Mais qui donc lui a ouvert la porte ?
Nous connaissons tous le portier, le détenteur des clés d’argent. Nous l’avons choisi, nous lui avons remis le trousseau en main propre et, comme toujours, il s’en est servi contre nous. Paupérisation explosive, 10 millions de Français sous le seuil de pauvreté, droits médicaux rongés par l’effritement de la sécurité sociale, lits d’hôpitaux fermés, privatisation du secteur médical.
De l’éducation aussi. Nos enfants ne vont plus à l’école publique. L’école n’existe plus. La garderie la remplacé. Fini les programmes, trop de retard scolaire, trop d’échec. La médiocrité l’emporte et elle rapporte beaucoup à ce bon vieux système libéral. Vive l’école privée, les cours payants, le soutien scolaire payant.
La crème que mérite ce pays le vaut bien, mais à présent elle se confond avec l’écume de l’être, le surmoi de l’entre-soi bourgeois.
L’hyper-informatisation du monde pousse les travailleurs vers la sortie. Le chômage ravive les peurs ancestrales : misère, famine, déchéance sociale, humiliation, agonie. La mort soudaine fait même office de bénédiction mais comme toute bénédiction elle n’a pas sa place dans l’Enfer que nous avons bâti de tous nos renoncements.
L’autre séparatisme
La Terre souffre, et se meurt de nos péchés, notre mode de vie. Hécatombe animale, déforestation massive, pollution totale : crime contre la vie. La douleur est une prière qui ouvre les portes du Ciel. Le châtiment a frappé et sa laideur atteint même son nom : Covid-19. Mais un châtiment plus grand nous attend puisque la Covid nous a à peine réveillé de notre torpeur.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le capitalisme mortifère triomphe toujours car il calcule, le bougre, et il manipule. Voilà un spectre passé maître dans l’exploitation multiséculaire de nos émotions. La peur, le fantasme sont des leviers et la Bête s’en nourrit.
En France, le capitalisme mortifère porte le visage de la jeunesse, son insolence, sa soif de puissance, son sentiment d‘éternité. Qui pourrait le détrôner ? Les sorcières sont impuissantes face au prince des ténèbres. Encore faudrait-il qu’elles le démasque. Peine perdue.
Nous avons mis Macron au pouvoir et Macron a déjà ouvert une cohabitation idéologique avec l’extrême droite. C’est son héritage, un héritage mitterrandien, sarkoziste et demain, macronien.
Macron a raison. Le séparatisme existe, bien qu’il n’ait que peu de choses à voir avec celui que les marchands du temple nous ont vendu. Il n’en est pas lui-même le chef d’orchestre car de ce cri rauque et blafard, aucune symphonie ne saurait advenir. Non, un simple visage, une signature, un porte-voix. Le CDD a été reconduit, et nous l’avons signé.
Brisons le fatalisme, assumons notre responsabilité
Nous avions le choix entre la possibilité réelle d’une gauche populaire, sociale, écologique et antiraciste, une gauche à l’anticapitalisme intelligent, ouverte sur une France du XXIe siècle. Beaucoup y ont cru et ont tenté l’exploit.
Une frange, indéfectiblement incrédule, a renoncé, préférant la loi d’airain coutumière du fatalisme que la possibilité d’être acteurs de leur destin. Ce qui m’a fait comprendre une chose. Les fatalistes ne le sont pas parce qu’ils croient au destin, mais parce qu’ils ne croient pas en la responsabilité. Alors la fatalité a frappé, une nouvelle fois. Lorsque le bon sens manque, la souffrance vole à son secours.
Pourtant, un espoir subsisterait encore, nous dit-on. Le purgatoire des législatives. Six semaines pour reconquérir son destin et atténuer les flammes de l’avarice humaine d’un système qui détruit ce monde chaque jour. Il est entendu que nous jouerons notre partition comme toujours. Le troisième tour sonnera peut-être le sursaut tout comme il peut accentuer l’amertume de la défaite.
Mais une chose est sûre. Si la peur ou la résignation nous a fait donner le pouvoir à Macron, alors la soif de justice et la détermination incandescente qu’elle produit nous permettra de le lui ôter. Et nous avons encore cinq longues années de batailles politiques pour cela.
Fouad Bahri