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jeudi 14 novembre 2024

Perception et action des musulmans en France : la religion comme engagement social fondamental

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Dimanche 3 juin, une journée de rencontre était organisée par le centre Philippe Grenier à Fontenay-sous-Bois sur le thème de l’islam en France. Parmi les invités, l’écrivain et journaliste Fouad Bahri est intervenu sur le sujet « Perception et action des musulmans en France : la religion comme engagement social fondamental ». Mizane.info publie la version intégrale de sa contribution.

Aborder la question de la perception des musulmans en France, par la société française, c’est évoquer la douloureuse question de leur représentation médiatique et la manière dont les élites françaises en parlent et en ont parlé ces 20 ou 30 dernières années. Lorsque nous parlons des élites françaises, nous pensons aux journalistes, aux chaînes de télévisions, aux chroniqueurs, éditorialistes, intellectuels, sans oublier évidemment les hommes et les femmes politiques. C’est de l’ensemble de ce microcosme, ce petit univers parisien déconnecté des réalités sociales, qu’il s’agit.

Religion et terrorisme : les ressorts d’un amalgame

Par quelles portes, l’islam a-t-il eu ses entrées dans les médias ? L’équation est simple et le champ lexical est éloquent. Parler d’islam depuis l’an 2000, c’est évoquer immédiatement et par association, les mots suivants : voile, 11 septembre, terrorisme, communautarisme, prières de rues, halal, salafisme, radicalisation, djihadisme, etc. La liste n’est pas exhaustive. Dans cette énumération terrifiante, on remarque deux choses. Première chose, des éléments de pratiques religieuses. Le voile est une pratique vestimentaire et une expression de la notion de pudeur religieuse. Le halal est, notamment, une norme éthique alimentaire. Même chose pour la prière de rue, statistiquement insignifiante, conséquence malheureuse d’un problème d’espace et d’un manque de lieux de cultes. Tous ces éléments religieux, ces pratiques ont été définies et présentées au grand public comme étant un problème. Cette présentation est une construction, c’est à dire un jugement de valeurs. On a considéré dans ce microcosme parisien, dans ce microcosme influent, qui fabrique l’opinion, que l’islam était un problème par sa visibilité, par son dynamisme démographique et par toutes les questions qu’on pensait disparues dans ce pays et que l’islam a reposé sur la table de la République. Entre autres, la question de la présence diffuse et visible d’une religion dans l’espace public, la question de la liberté religieuse et la question centrale de Dieu dans un territoire sécularisé. L’autre aspect, toujours dans cette question de la perception de l’islam, concerne d’autres phénomènes d’une autre nature, des phénomènes sécuritaires et géopolitiques. Nous parlons évidemment de Daesh, de l’Etat islamique et de la question du terrorisme qui est, contrairement à la manière dont elle est médiatisée, une question très complexe qui associe plusieurs facteurs psychologiques, sociologiques et idéologiques.

Au passage, soulignons que la seule appellation d’Etat islamique a été dévastatrice par l’amalgame immédiat qu’elle produit, alors même que les assassinats commis par cette organisation politique concernent à 80 ou 90 % des musulmans. Tout cela pour dire que nous sommes très loin d’un conflit unilatéral entre un islam guerrier et un occident démocratique qui serait assiégé. Nous sommes en train de parler de phénomènes sécuritaires qui sont produits, non pas par une religion, mais par une idéologie politico-religieuse, ce qui est nettement différent, une idéologie crée par une organisation militaire qui est étrangère et qui utilise la religion dans son projet de conquête politique comme sa ressource la plus précieuse et la plus mobilisatrice. C’est un détournement de fond non pas financier mais spirituel et religieux.

40 % des terroristes présentent des troubles psychiatriques

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Malgré le fait que la question du terrorisme n’est pas directement une question religieuse, l’association entre islam et terrorisme est une représentation médiatiquement bien établie, en dépit de toutes les condamnations du terrorisme par les plus hautes institutions religieuses dans le monde et en France. Cela revient à indiquer que la vérité de l’islam serait exprimée par ces groupes terroristes et non par ces institutions religieuses, ou par les musulmans du quotidien. On insiste très peu, par exemple, sur la dimension psychotique des individus qui se sont engagés avec Daesh. Sait-on que 40 % des personnes interpellées par les services judiciaires souffraient de troubles psychotiques ? Une information disponible dans un rapport de l’institut Montaigne, qu’on ne pourra pas soupçonner d’islamophilie, un rapport intitulé « Refonder la sécurité nationale ». Fethi Benslama, professeur de psychopathologie à l’Université Paris Diderot, indique dans ce rapport « que les dossiers transmis par la justice montrent la part importante de psychotiques délirants, enfermés dans des idées fixes avec des pulsions de haine puissantes. 40 % d’entre eux présentent en effet des troubles psychiatriques, de type dépressif ou bipolaire, que l’on devrait intégrer aux politiques de prévention de la radicalisation ».

Le problème n’est donc pas dans le littéralisme mais dans le bon ou le mauvais usage du littéralisme (…) Vous ne trouverez pas la moindre critique à une pratique littérale des préceptes de l’islam qui ordonne le respect des engagements avec autrui, l’obligation d’être véridique dans ses propos, de ne pas tromper, ni mentir, ni voler son prochain, ou encore de respecter l’environnement

Pour le psychiatre Roland Coutanceau, cité dans le même rapport, il faut identifier trois types de profils de djihadistes et parmi eux celui de « ceux qui, sans attaches particulières, sont déjà transgressifs dans leur quotidien et cherchent à s’identifier à un combat guerrier. Ces derniers présentent des troubles de la personnalité et sont aussi les plus dangereux et les plus susceptibles de passer à l’acte ». Nous pourrions également parler du profil criminel des jeunes impliqués dans les attentats en France. Plusieurs d’entre eux avaient déjà un passé criminel de délinquance violente ou armée et étaient passés par la case prison pour des délits graves. Ce qui nous renvoie à la fameuse thèse de l’islamisation de la radicalité que je n’aborderais pas ici. La surdétermination du facteur de l’idéologie religieuse vient donc masquer les autres variables déterminantes dans le passage à la violence. La logique des médias de masse se caractérisant par sa simplification à outrance, la réduction religieuse de la question terroriste produit son effet sensationnaliste. Dans ce processus de simplification, nous passons, au moyen d’une corrélation inductive et d’une réduction d’une forme déviante au Tout, d’une idéologie politico-religieuse (Daesh) à un courant rigoriste l’alimentant en amont, et qui n’est jamais qu’une forme historique tardive de l’histoire de l’Islam (wahhabisme), jusqu’à la matrice originelle de la religion du Prophète. Reconnaissons, quoi qu’il en soit, que nous sommes très loin des réalités sociales, ou locales, ou même nationales de la question de l’islam et des musulmans en France.

Cloisonnement des individus et hyper-individualisme social

Malheureusement, la haute intensité émotionnelle et psychologique de ce type de phénomène s’est additionné, ne l’oublions pas, à toutes les polémiques qui l’ont précédé sur le voile, ce soi-disant symbole d’un islam politique comme on ne cesse de le répéter encore aujourd’hui de manière obsessionnelle, mode opératoire et stratégique de son exclusion. A notre connaissance, les femmes qui portent un foulard n’ont jamais revendiqué le faire au nom d’un projet ou d’une vision politique de la société. Il y a bien eu un effet cumulatif, un effet additionnel de masse venu écraser de son poids et asphyxier la société française dans son rapport à elle-même ou à une partie d’elle-même. Quant aux musulmans en France, ils se sont retrouvés en première ligne, enfermés en permanence sur ces sujets-là.

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Si nous ajoutons à cette chape de plomb sécuritaire éminemment anxiogène une autre réalité qui, elle, concerne l’ensemble des citoyens, à savoir le cloisonnement des individus dans les grands centres urbains qui découle directement d’un hyper-individualisme du rapport social, et qui se traduit concrètement par le fait que les individus se croisent dans la rue sans se regarder, qu’ils coexistent sans même se parler, et par le fait que la conscience sociale est littéralement atomisée, atomisation qui a beaucoup à voir avec l’avènement des nouvelles technologies, smartphones, écrans omniprésents, substitution de la communication virtuelle et artificielle à l’échange humain physique et réel… Si vous additionnez ce cloisonnement à ce qui a été dit précédemment, vous avez là tous les ingrédients d’une paralysie politique du citoyen, et d’une léthargie de toute forme d’engagement et donc de lien social.

Les vertus du littéralisme religieux

Ramenée à notre discussion, ce tableau soulève deux questions : comment les citoyens, que nous sommes, largement dépossédés de leur identité sociale par un système totalitaire marchand, peuvent-ils retrouver le pouvoir d’agir, ce qui rejoint la notion d’engagement. Et quelles ressources l’islam peut-il offrir aux citoyens de confession musulmane dans cette noble entreprise ? Eh bien nous disons que paradoxalement, une application littérale de l’islam est un étonnant vecteur de consolidation sociale, de création de lien et de haute valeur éthique et sociale ajoutée. Pourquoi paradoxal ? Parce que le littéralisme est constamment présenté comme le mal absolu, l’indice d’une absence d’intelligence et de bon sens, voire une absence d’humanité. Or c’est une erreur car toute communication, tout langage s’appuie sur le littéralisme, terme qui signifie être conforme à la lettre d’un mot ou d’un texte. Sans littéralisme, plus de communication humaine. Le problème n’est donc pas dans le littéralisme mais dans le bon ou le mauvais usage du littéralisme. Après tout, personne ne se plaindra qu’on ait une lecture littérale des versets du Coran qui appellent à aider les nécessiteux, les personnes dans la difficulté sociale, à prendre en charge les orphelins, à accueillir les voyageurs. Personne ne nous reprochera de lire littéralement les hadiths qui demandent aux croyants d’être attentifs à leurs voisins, de leur consacrer la plus grande bienveillance et de les respecter scrupuleusement.

Une telle pratique éthique, spirituelle et sapiensale (relatif au savoir) du musulman est susceptible d’agir au quotidien, localement, comme un extraordinaire effet de contraste, comme une réfutation en règle de toute la désinformation générale

Pas davantage, vous ne trouverez la moindre critique à une pratique littérale des préceptes de l’islam qui ordonne le respect des engagements avec autrui, l’obligation d’être véridique dans ses propos, de ne pas tromper, ni mentir, ni voler son prochain, ou encore de respecter l’environnement, la nature et le règne animal, toutes prescriptions que vous trouvez dans cette religion ainsi que dans toutes les grandes religions. On voit donc dans quelle mesure le véritable problème n’est pas l’application fidèle de la religion mais l’application déformée, détournée, l’application non littérale de l’islam. C’est à dire l’application réduite et partielle de la religion et non son application complète, qui serait cohérente et rationnelle. Autant dire que le problème est la non application de cette religion, non application qui est le produit de l’ignorance, de la méconnaissance cruelle des finalités supérieures de l’islam, ignorance qui a produit, il faut bien le dire, un sectarisme, voire un fanatisme de certains musulmans en rupture avec leur environnement.

« Éloge » de la radicalisation

Nous parlions du littéralisme mais le même phénomène de déformation sémantique est observable avec un autre terme : la radicalisation. Radicalisation vient de « radicaliser » qui signifie rendre « radical ». Radical signifie « relatif à la racine et à l’essence d’une chose », « ce qui concerne le principe premier, fondamental, qui est à l’origine d’une chose, d’un phénomène ». La radicalisation est donc le processus qui amène à revenir à la racine et au principe premier d’une chose. On voit bien dans quel mesure ce terme, appliqué aux djihadistes et à l’islam, est non seulement faux mais scandaleusement outrageant. Il implique un rapport de causalité directe entre principes fondateurs de l’islam et action violente ou criminelle, confirme une fois de plus la confusion sémantique.

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Une radicalisation authentique et bien comprise serait pour sa part un appel à la connaissance et au savoir (Iqra) formulé au nom d’une double exigence d’Amour originel (matriciel) et relationnel (selon la traduction glotonienne des attributs fondateurs Ar-Rahman, Ar-Rahim). Un appel général donc à la connaissance et à l’expression d’un amour proche de l’harmonie universelle. Avec un brin de provocation, nous ne pouvons qu’appeler dans ces conditions à la radicalisation des musulmans. Il est évident que dans ce cas de figure, le terme de radicalisation a été substitué à celui d’extrémisme, qui signifie aller à l’extrême et au bout d’une voie, l’extrême étant la position la plus éloignée du centre. Une référence parlante lorsque l’on sait que l’islam se définit comme une religion du juste milieu (Coran 2, 143).

Le niveau quantique de l’engagement social

Dans ce contexte, marquée par une incompréhension générale, par la tension, la peur, la méfiance et l’égoïsme, une telle pratique éthique, spirituelle et sapiensale (relatif au savoir, ndlr) du musulman est susceptible d’agir au quotidien, localement, comme un extraordinaire effet de contraste, comme une réfutation en règle de toute la désinformation générale, pour peu qu’il vive son attachement moral et spirituel à l’islam avec fidélité et qu’il l’incarne dans sa vie. Et une telle fidélité agit mieux que tous les discours, les programmes et les projets de réforme pensés à l’échelle nationale par une quelconque institution car son champ et son échelle d’application est de type « quantique » (micro-échelle des relations entre particules atomiques, ndlr), c’est-à-dire fondamental. Cette échelle est le premier niveau d’engagement social de l’individu personnel et malgré tout, ce niveau d’engagement est déjà collectif et jamais purement individuel. Il déborde sa portée par la synergie personnelle crée par l’individu avec son environnement (famille, voisins, collègues professionnelles, étudiants, etc.). C’est bien dans cet effort du quotidien que la contribution éthique et spirituelle de l’islam est en mesure d’inverser la charge et d’apporter le témoignage de sa vérité et de sa contribution sociale au services des autres.

Fouad Bahri

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Mohamed Bajrafil

 

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