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lundi 23 décembre 2024

Qui sont les coranistes ?

Qu’est-ce que le coranisme ? D’où vient ce courant et que prône-t-il ? Dans un premier article consacré à ce courant de pensée, Brahim Charafi présente sur Mizane.info les principes et quelques-uns des argumentaires déployés par les coranistes.  

L’univers des idées demeure mouvant et ne cesse de voir émerger de temps à autre de nouvelles visions ou tendances intellectuelles. Ces dernières surviennent soit en réaction à un environnement intellectuel dominant, soit dans le but de redonner vie et de ressusciter une idée singulière venant du passé. Les coranistes, ou les néo-coranistes, tendance qui sera l’objet de cet article, sont des musulmans qui considèrent que le Coran est la seule source des jugements (ahkam) et des pratiques religieuses. Ils rejettent l’autorité des hadiths et de la tradition musulmane en matière de loi religieuse, et focalisent leurs travaux uniquement sur la lecture et l’interprétation du Coran pour guider leur pratique religieuse et leur rapport avec le sacré.

A cet égard, nous citons, l’ancien doyen de la Faculté des études supérieures de l’Université Al-Azhar , Muhammad Salem Abu Asi 1 qui définit les Coranistes « comme un groupe ou des individus qui se contentent de se référer uniquement au Saint Coran et renient complètement la Sunna du Prophète […] c’est une tendance qui a des racines et une histoire depuis l’ère du Prophète. En effet, le Messager (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) a prédit qu’il y aurait des gens qui nieraient la Sunnah du Prophète, quand il a dit (que Dieu le bénisse et lui accorde la paix) : « Un homme est sur le point de s’allonger sur son divan racontant un récit (hadith) de ma tradition, et il dit : entre nous et vous est le Livre de Dieu Tout-Puissant, ce que nous y avons trouvé licite, nous l’avons permis et ce que nous y avons trouvé d’illicite nous l’avons interdit. » 2

Par ailleurs, Abou Assi décrit les coranistes comme un mouvement marginal et individuel qui n’est ni une secte ni une école générale, et qui se concentre surtout en Inde et en Europe. Selon lui, il n’y a pas de dynamique générale du coranisme au niveau du monde arabe, même si certains modernistes ou laïques adoptent volontiers cette tendance.

Les coranistes estiment que les hadiths ne sont pas fiables car ils ont été compilés des décennies après la mort du Prophète Muhammad (que la paix de Dieu soit sur lui) et seraient donc sujets à des erreurs de transmission, d’interprétation, de compilation et de traduction. Ils préfèrent donc se concentrer uniquement sur le Coran, qu’ils considèrent comme la parole infaillible de Dieu telle qu’elle a été révélée à Muhammad sur les vingt trois années.

Les coranistes peuvent avoir des interprétations différentes du Coran, tout comme les musulmans qui acceptent l’autorité des hadiths. Certains peuvent avoir des croyances différentes sur des sujets tels que l’interprétation de la loi islamique, le rôle des femmes dans la société ou la relation entre l’islam et la politique.

Les origines du coranisme

Vu la présence marginale de ce mouvement au sein des sociétés à majorité musulmane, et notamment parmi les universitaires et chercheurs spécialisés en islamologie et pensée islamique, certains 3 estiment que les origines du coranisme remonteraient aux premiers siècles de l’islam, lorsque des groupes de musulmans auraient commencé à remettre en question l’autorité des hadiths pour se concentrer uniquement sur le Coran en tant que source de loi et de pratique religieuse. Cependant, il n’existe pas de consensus sur l’origine précise du coranisme en tant que mouvement distinct.

D’autres 4 situent les racines de ce courant au moment des premières disputes théologiques de l’islam. Au cours des premiers siècles de l’islam, les disputes entre différentes écoles de pensée et de jurisprudence islamiques ont mené à des divergences sur la manière d’interpréter et d’appliquer la loi islamique. Certains musulmans ont alors commencé à remettre en question l’autorité des hadiths et à se concentrer uniquement sur le Coran.

D’autres chercheurs affirment encore que le coranisme est né en réponse à la corruption d’une partie de la tradition musulmane établie, devenue de plus en plus influencée par des coutumes et des croyances pré-islamiques. Selon cette théorie, les coranistes ont cherché à revenir aux fondements de l’islam tel qu’il était pratiqué à l’époque du prophète Muhammad, en se concentrant uniquement sur le Coran et en rejetant les hadiths qui avaient été altérés ou corrompus.

Quelle que soit son origine précise, le coranisme est aujourd’hui le timide apanage de quelques islamologues en France et en Europe, nés d’un brassage à mi-chemin entre néo-mutazilisme et coranisme.

Les principes des coranistes

Le discours des coranistes 5 repose, entre autres, sur les principes suivants :

– Le Coran comme seule source de loi et de pratique religieuse : les coranistes considèrent que le Coran est la seule source infaillible de loi et de pratique religieuse, et rejettent totalement l’autorité des hadiths et de la tradition musulmane. A ce propos, voici ce qu’ils pensent des livres authentiques de hadiths tels que le Sahih Al-Bukhari, Sahih Muslim. « Nous ne l’appelons pas la sunna du Prophète, mais plutôt la sunna de Bukhari parce que nous ne sommes pas sûrs que ce soit la sunna du Prophète, mais plutôt des mots dits par Bukhari » 6

– L’interprétation personnelle du Coran : les coranistes estiment que chaque individu est libre d’interpréter le Coran selon sa propre compréhension, sans être obligé de suivre les interprétations établies par la tradition musulmane.

– La primauté de la raison et de la logique : les coranistes estiment que la raison et la logique doivent être utilisées pour interpréter le Coran. Ils encouragent la recherche personnelle de la connaissance religieuse plutôt que le recours aux ahadiths et à la tradition musulmane.

– La négation du principes de l’abrogation 7 en matière des sciences du Coran.

– Les prophètes et messagers n’ont pas le statut de l’infaillibilité “Al-‘Issma” car ils demeurent des êtres humains

– Les compagnons du Prophète ne bénéficient pas du degré d “irréprochabilité”. Leur proximité avec le prophète ne leur confère pas un statut d’êtres exempts de faute morale.

Il convient de noter que ces principes peuvent varier en fonction des interprétations individuelles du Coran par les coranistes.

Les personnalités coranistes

Il n’y a pas de figures éminentes ou de leaders reconnus dans la communauté des coranistes. Les coranistes sont un mouvement relativement nouveau et diversifié, et il n’y a pas de structure hiérarchique ou d’autorité centrale. Il s’agit souvent d’individus regroupés en petits cercles, en ligne ou dans des communautés locales pour étudier et discuter du Coran et pour développer leur propre compréhension de la religion.

Rashad Khalifa.

Certains individus 8 ont cependant exercé une influence sur la pensée coraniste, tels que le penseur égyptien Ahmed Subhi Mansour 9 qui a commencé à promouvoir ce type de discours 10 dans les années 1970 et 1980, ou encore l’Américain Rashad Khalifa qui a publié une traduction du Coran en anglais et a proposé une méthode mathématique pour l’interprétation du texte coranique.

Là encore, il convient de noter que l’absence de leaders reconnus ou d’autorité peut parfois conduire à une grande diversité d’opinions et d’interprétations au sein du cercle des coranistes. Cela peut également rendre difficile la définition précise de ce qui constitue la pensée coraniste.

Ahmed Subhi Mansour, autoproclamé, “leader des Coranistes”, a par exemple déclaré que la plupart des musulmans vénéraient le Coran-livre “al-Muşhaf” et non le Saint Coran “al-Wahy”, tout comme la plupart d’entre eux ont fait du Prophète une figure divine contrairement à ce que le Coran stipulait.

D’après Ahmed Subhi Mansour, le monde islamique a besoin aujourd’hui de clarifier la contradiction entre la loi islamique et les sublimes valeurs coraniques d’une part, et la législation que les muftis extraient des livres du patrimoine d’autre part.

Ahmed Subhi Mansour.

Il considère par ailleurs que le recours à des hadiths, écrits selon lui par des humains à l’époque abbasside, impliquerait l’accusation que le Prophète n’aurait pas finalisé sa mission de transmission du message de l’Islam, à savoir le Coran, et que ce message serait incomplet. Accusé par certains azharites d’apostasie, Mansour a répondu que ses détracteurs « ont le pouvoir mais ils n’ont pas d’arguments ». 11

Les limites d’un discours

En conclusion, il convient de se rendre à l’évidence que ce mouvement, très minoritaire au sein des pays musulmans, n’a pas pu forger un argumentaire solide pouvant remettre en cause l’importance de la sunna et son degré argumentatif. En effet, les coranistes n’ont pas su apporter une réponse convaincante à certains passages du Coran parlant de la relation étroite entre la sunna authentique et le Coran en matière de la législation. Le Coran affirme à ce propos que suivre la sunna du Prophète revient à obéir a Dieu 12.

Le Coran rappelle ceci : « Qui obéit au Messager obéit à Dieu ». Ce verset fonde le caractère obligatoire de la sunna “authentique” qui est également la base majoritaire de l’islam. A ce sujet, on se reportera au verset suivant : « Ce que le Messager vous a donné prenez-le, et ce qu’il vous a interdit abstenez-vous en » 13.

Brahim Charafi.

Au-delà de leurs positions, ce que l’on peut déduire de leur thèse est la volonté d’un certain détachement vis à vis des actes d’adoration 14 comme la prière, le jeûne, le pèlerinage ainsi que certaines valeurs de l’islam. Le seul argument qu’ils opposent pour corroborer cette volonté est le fameux passage coranique suivant, interprété à mauvais-escient : « Aujourd’hui j’ai parachevé pour vous votre religion » 15.

Pour les coranistes, les adorations obligatoires doivent se référer exclusivement au Coran. En séparant la tradition prophétique authentique du Coran, les coranistes procèdent à un démantèlement des grands principes de l’islam fondé sur la division entre les deux principales sources de la foi. La sunna étant l’aspect pratique et détaillé du Coran, ce dernier insistant davantage sur les grandes orientations théologiques et éthiques, et le Prophète étant lui-même un « Coran marchant », cette séparation est sans fondement.

Dans un prochain écrit, nous aborderons sur quelles bases une disputatio peut-elle se construire entre les savants de l’islam, les intellectuels musulmans et les coranistes.

Brahim Charafi

Universitaire et enseignant

Docteur en histoire politique et pensée islamique

Notes :

1 Le professeur Muhammad Salem Abu Asi, né en Égypte en 1962 après J.-C., est un théologien azharite. Il s’est spécialisé dans les sciences du Coran et son interprétation, et il s’intéressait à la science des fondements du fiqh. Parmi ses sujets d’études, mentionnons une interprétation des versets du Coran, un ouvrage sur le raisonnement dans le Coran et la sunna, deux essais sur l’interprétation de la pensée salafiste et de présentation des réflexions d’Ibn Taymiyyah.

2 Voir l’émission « Mawazine » sur le site: https://www.aljazeera.net/politics/2023/3/15/

3 Ali Muhammad zino, al-Quraniyoun, origine, idées, arguments : https://shamela.ws/book/32184

4 Ibid.

https://www.ahl-alquran.com/arabic/

ماذا يقول القرآنيون؟

6 Voir le site https://www.alarabiya.net/articles/2007%2F08%2F14%2F37867  

الكفار المسلمون » يعقدون « 

7 Voir le site : https://raseef22.net/article

إنكار السنة

8 Voir le site: https://www.alarabiya.net/articles/2008%2F03%2F11%2F46777#:~:text  مؤتمرهم الأول بأمريكا لإلغاء « السنة

9 Il s’agit du « Dr Ahmed Sobhi Mansour » né en « Égypte » en 1949. Il a étudié à Al-Azhar et s’est spécialisé dans l’histoire et la civilisation islamiques, et a également enseigné à l’Université Al-Azhar à partir de 1973 jusqu’à 1987 en tant que professeur d’histoire à la Faculté de langue arabe. Il a été jugé à l’Université Al-Azhar pour deux livres dont « Les Prophètes dans le Saint Coran ».

10 Il s’agit du « Dr. Muhammad Rashad Khalifa » – un ressortissant égyptien, né en 1935. Il a fondé l' »International United Muslims », qui appelle à l’Islam et à Dieu seul en renonçant à l’ensemble des recueils de ahadiths. Il prétendait que le nombre (19) était en relation avec l’ensemble des versets du Coran. Il fut assassiné dans sa maison à Tucson au début des années 1990.

11 https://www.albawabhnews.com/2585245

12 Sourate 4 verset 80

13 Sourate 59 verset 7

14  https://www.alarabiya.net/articles/2007%2F08%2F14%2F37867 

15 Sourate 5 verset 3.

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