Qu’est-ce que la nationalité ? Mène-t-elle automatiquement au nationalisme ? Que faut-il penser de l’identité nationale ? Homme de dialogue engagé dans la cohésion nationale, le rabbin Gabriel Hagaï nous livre une réflexion sur la notion de nationalité dans un débat qu’ouvre Mizane.info.
Trop souvent, dans les discours dominants (politique, médias), on propose une vision essentialiste (c’est-à-dire ontologique) de la nationalité, sans aucune critique de cet amalgame conceptuel. Selon cette idéologie, une personne serait essentiellement différente selon son appartenance nationale. Le fait d’être né d’un côté ou de l’autre d’une frontière changerait notre nature ! Les partisans de ce fantasme – la trop fameuse (fumeuse) « identité nationale » – ont été même jusqu’à en créer un ministère, ou à l’utiliser comme argument électoraliste. Or, cela constitue pour moi une grande hypocrisie intellectuelle.
En effet, la nationalité existe uniquement pour remplir une fonction administrative, et pas du tout identitaire. Elle n’est là que pour indiquer à quelle gouvernance politique on doit payer nos impôts – permettant ainsi à cette gouvernance d’organiser la gestion de la région qu’elle administre (police, justice, armée, éducation, santé publique, infrastructures routières, gestion des ressources, etc.). C’est un système d’organisation sociétale créé depuis le début des civilisations sur tous les continents. Tout d’abord à un niveau très local, puis de plus en plus étendu géographiquement – passant ainsi des chefferies aux seigneuries, puis aux royaumes, et enfin aux empires.
Historiquement, c’est en Europe au 19e siècle, sous l’influence du romantisme, qu’est apparue cette idée de la nation et du nationalisme – c’est-à-dire de l’existence ontologique d’une communauté humaine partageant une unité géographique, linguistique, historique, religieuse et culturelle. C’est la naissance du concept de « génie national ». Selon cela, un pays idéal – la « mère patrie » – serait donc le foyer d’un unique peuple uni par la même langue, la même culture et la même religion.
Or, de facto la réalité a été bien différente, et cette idéologie a engendré d’innombrables souffrances humaines, étant à la source du colonialisme, du fascisme et des guerres mondiales (pour rester concis). Combien de frontières modernes coupent-elles des unités culturelles ou des ensembles linguistiques ? Combien de pays souverains abritent-ils plusieurs langues parlées ? Combien de minorités ont-elles subi un épistémicide ou un génocide ? La majorité des conflits actuels de par le monde sont encore la résultante de ce fantasme toxique du nationalisme (les guerres civiles ; les luttes d’indépendance ; les différents frontaliers ; les conflits binaires : Inde vs. Pakistan, Israël vs. Palestine, Corée du Nord vs. Corée du Sud, etc.).
Le raisonnement ad absurdum qui attribue une valeur essentialiste à la nationalité n’entraîne qu’exclusions et souffrances individuelles, surtout lorsqu’il est associé à une échelle de valeurs. C’est ainsi que sont légitimés les « intérêts supérieurs de la Nation », autorisant le pillage et le meurtre
Je pense qu’il est ridicule d’attribuer une valeur identitaire (c’est-à-dire essentialiste) à un concept purement administratif. Encore plus de l’utiliser pour fermer ses frontières, et empêcher du sang neuf de renouveler un stock vieillissant. La liberté de circulation est un droit humain trop souvent bafoué.
L’honnêteté intellectuelle demande donc qu’on dénonce le concept même d’« identité nationale ». Surtout en France. Et surtout lorsque ce concept est instrumentalisé par des passéistes nostalgiques qui ont une vision raciste et réductrice du monde. Un Français ne serait-il qu’un locuteur leucoderme de la langue de Molière originaire de l’Hexagone, porcinophage et vinophile ? Quid des francophones qui ne sont pas de nationalité française (Suisses, Belges) ? Quid des Français qui n’ont pas le français comme langue maternelle (comme les Basques, les Bretons, les Occitans ou les Ch’tis) ? Quid des Antillais ? Des Mahorais ? Des Guyanais ? Quid des Français d’origine étrangère ?
Le raisonnement ad absurdum qui attribue une valeur essentialiste à la nationalité n’entraîne qu’exclusions et souffrances individuelles, surtout lorsqu’il est associé à une échelle de valeurs. C’est ainsi que sont légitimés les « intérêts supérieurs de la Nation », autorisant le pillage et le meurtre. Il est dans l’ordre des choses que les idées de nationalisme et de nation soient appelées ultimement à disparaître – à l’instar de l’esclavage et du sexisme, par exemple.
C’en est fini d’agiter ad nauseam l’épouvantail de l’allochtone et de nourrir la phobie du changement ! Personne n’est meilleur que l’autre. Nous sommes tous sœurs et frères, tous unis par nos liens d’humanité. Ne sommes-nous pas tous créés « à [Son] image, selon [Sa] ressemblance » (Deut. I:26) ?
L’humanité évolue et s’améliore à chaque génération. Il est temps de passer au paradigme supérieur, de vivre enfin au niveau digne de notre nature divine. Il y a suffisamment de richesses (et les moyens de les partager) dans ce village global qu’est devenu la Terre, afin que tous sans exception aient accès à l’eau, à la nourriture, au logement, à l’éducation, à la santé et à la sécurité. Il suffit d’un peu de justice et de fraternité. La gentillesse et la compassion deviendront nos secondes natures. C’est alors que se réaliseront les prophéties eschatologiques annoncées dans nos Saintes Écritures, et que s’établira un paradis ici-bas.
Gabriel HAGAÏ
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