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lundi 23 décembre 2024

Rafik Chekkat : « Islamophobia veut rompre avec le pessimisme et la morosité ambiante »

Rafik Chekkat. ©Mizane.info

Islamophobia : c’est la nouvelle plateforme de contenus en ligne sur l’islamophobie lancée ce jeudi 3 février. « Un outil au service de la réflexion et de la mobilisation » avec podcasts, vidéos, livres, et prochainement une revue papier, pour explorer les enjeux de la question musulmane en Europe et au-delà. Quels sont ses objectifs ? Qui l’anime ? Quelle sera sa marge de manœuvre dans un contexte post-loi sur le séparatisme ? Rafik Chekkat, co-fondateur d’Islamophobia, a répondu aux questions de Mizane.info. Exclusif.

Nouvelle plateforme en ligne dédiée à la question de l’islamophobie, Islamophobia est, selon les mots de l’un de ses co-fondateurs, Rafik Chekkat, « un outil au service de la réflexion et de la mobilisation » proposant podcasts et vidéos, reportages, documentaires, livres, rencontres et même revue papier, sur « la question musulmane » en Europe et au-delà. « Cet outil n’existait pas encore. Il nous fallait donc le créer », écrit-il sur sa page Facebook.

Rafik Chekkat, diplômé en droit des affaires et en philosophie politique est l’architecte de ce projet avec le docteur et enseignant-chercheur Hamza Esmili. Les deux hommes seront les co-rédacteurs en chef d’une revue papier trimestrielle, Conditions, doublée d’un site internet, dont le premier numéro pourrait sortir avant avril prochain. Maria de Cartena, coordinatrice, Sarah Aiter, doctorante à Science Po et consultante et deux autres personnes chargés de l’aspect technique du site complète l’équipe d’Islamophobia.

Logo de la plateforme Islamophobia.

Mizane.info a voulu en savoir plus sur les objectifs et la nature de ce nouveau projet dans un contexte politique extrêmement tendu sur l’islamophobie. Rafik Chekkat a répondu à nos questions dans un entretien exclusif que nous publions.

Mizane.info : Malgré la dissolution des associations de lutte contre l’islamophobie, il existe déjà plusieurs sites comme le Collectif contre l’islamophobie en Europe, ou la Plateforme Les Musulmans qui propose un plan d’action contre l’islamophobie. Quelle est donc la valeur ajoutée d’Islamophobia ?

Rafik Chekkat : Notre démarche est complémentaire. Nous ne réduisons pas l’islamophobie à son volet discriminatoire même si ce volet est important. Il s’agit d’explorer tous les enjeux à tous les niveaux politique, économique, social, psychologique, international, en Europe et au-delà de l’Europe, pour voir ce que cette islamophobie dit de nous et des sociétés européennes. Islamophobia n’est pas un outil d’accompagnement des droits, il complète le volet discriminatoire par des outils de compréhension intellectuelle du phénomène islamophobe. Cela inclut la notion de droit, de lois islamophobes et des discriminations.

Ce type de projet ne peut voir le jour que s’il existe un écosystème favorable. Cela ne sert à rien de faire une revue papier s’il n’y a pas de public. L’idée est de faire un saut qualitatif à tous les niveaux et de créer cet écosystème autour de l’islamophobie avec d’autres structures, d’autres médias.

Il nous faut fédérer car seuls on n’y arrivera pas.

Islamophobia offrirait donc un contenu plus intellectuel sur l’islamophobie ?

Notre démarche n’est pas seulement intellectuelle. Il faut savoir que beaucoup d’écrits sont déjà disponibles sur ce sujet mais ne pèsent pas politiquement car le public n’y a pas accès. Il faut donc être sur tous les terrains et parler à tout le monde sur des supports différents (vidéos, podcast, supports écrits…). La lutte contre l’islamophobie doit devenir irrésistible car elle n’est pas un sacerdoce ou quelque chose de pesant. Islamophobia a pour but de décloisonner la lutte contre l’islamophobie.

Comment créer de l’intérêt sur la question de l’islamophobie, dans un vieux contexte de saturation marqué par des discours politiques anxiogènes sur l’islam ou des actes islamophobes ?

L’idée n’est pas forcément de coller à l’actualité mais de s’intéresser au moyen et long terme. La mission de notre génération, selon l’expression de Fanon, n’est pas de passer d’un buzz à un autre car ainsi on ne construit rien et on ne comprend rien. Il faut rendre ces phénomènes intelligibles et inlassablement répéter que rien ne se fera tant que les gens ne se prendront pas en charge eux-mêmes.

Vous parlez d’action politique. En quel sens ce travail est politique, et peut se traduire politiquement dans l’espace public ?

En faisant entendre notre musique, notre définition de ce qu’est l’islamophobie, notre compréhension de ces phénomènes. Le contenu des supports est par nature politique. Comme nous étudions le phénomène sous toutes ses coutures, nous nous pencherons à titre d’exemple sur le rapport entre élection et islamophobie en regardant comment les différents candidats se positionnent sur cette question-là.

Est-ce que ces candidats pourraient prendre à bras le corps des positions que nous pourrions formuler par rapport à des lois islamophobes comme la loi séparatisme ? Cela pourrait aussi prendre la forme de débats comme celui de savoir si le boycott électoral est une solution, ou si l’islamophobie est liée aux périodes électorales, ce qui dans ce dernier cas pourrait nous faire baisser la garde le reste du temps. Il s’agit également de faire des propositions. En ce sens, Islamophobia est une boîte à outils et a vocation de réunir des informations dispersées sur le net.

Etant donné le contexte (dissolution du CCIF) et le fait que toute démarche, même intellectuelle, associant islam et politique peut aujourd’hui faire l’objet d’une interdiction, ne risquez-vous pas de rentrer dans le collimateur des pouvoirs publics ?

La question de la répression ou de la dissolution est la première question qui se pose. Nous nous sommes posés la question mais ce n’est pas à nous d’y apporter la réponse. Tout est fait aujourd’hui pour entraver la parole musulmane.

Nous pensons que nous devons faire œuvre de pédagogie au sens où tout projet du type d’Islamophobia a une vertu performative, et une valeur d’exemple contre l’abattement et la résignation. Il nous faut reprendre l’initiative dans un climat politique lourd. Le montrer est une chose importante.

Si cent structures sont fermées, mille doivent être créées.

Il faut tirer également des enseignements des dissolutions. Par exemple, le rôle des réseaux sociaux. Pour avoir lu toutes les décrets de dissolutions (CCIF, Baraka City, CRI), le manque de modération sur les réseaux sociaux est un élément qui revient souvent. Cela a été tellement loin qu’on a reproché à la Coordination contre le racisme et l’islamophobie de dénoncer le fait qu’il y ait de l’islamophobie en France. Autant reprocher à la Ligue contre le cancer de dire qu’il y a du cancer en France.

Il est parfois reproché à des militants contre l’islamophobie de dire, non pas qu’il y a de l’islamophobie en France mais que la France ou les institutions françaises sont islamophobes de manière essentialiste…

Oui, ce reproche existe. D’ailleurs, l’article 9 de la charte des principes de l’islam de France, que toute mosquée doit plus ou moins signer sous peine de rétorsion administrative, assimile le fait de parler d’islamophobie à un discours anti-France ou un discours de haine contre la France.

Des mosquées, comme celle de Cannes, sont menacées de fermeture pour avoir critiqué la dissolution du CCIF et de BarakaCity. Critiquer une dissolution est donc assimilé à un discours de haine contre la France tout comme lutter contre l’islamophobie. On voit comment la situation est insidieusement retournée.

Les citoyens de confession musulmane devraient pouvoir exprimer librement leurs opinions sans risquer d’être criminalisés.

Le rôle d’Islamophobia est de rompre avec le pessimisme et la morosité ambiante et de montrer qu’il est possible de faire des choses.

Propos recueillis par la rédaction

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