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lundi 23 décembre 2024

Repenser le dispositif de la zakat

A l’entrée des dix derniers jours du ramadan, il n’est pas inutile de revenir sur la zakat et sa gestion en France. Un aggiornamento sur la redistribution de la zakat, sa centralisation et son usage permettrait la mise en place d’une meilleure politique de lutte contre la pauvreté, selon Fouad Bahri qui s’en explique dans un texte publié sur Mizane.info.  

L’injonction divine et l’appel constant à faire des aumônes, c’est à dire à reverser le surplus de nos biens aux nécessiteux, est un pilier cardinal de l’islam, à comprendre au sens de religion primordial puisque le Coran enseigne que les messagers de Dieu ne forment qu’une seule communauté, celle de ceux qui adorent Dieu l’Unique sans rien lui associer et accomplissent les bonnes œuvres dont le prototype reste la zakat.

Rappelons que dans la religion musulmane, il existe trois variantes de l’aumône (zakat) dont deux sont obligatoires sous certaines conditions et une facultative. La zakat al maal est le troisième pilier de l’islam. Il s’agit d’un droit du nécessiteux sur le riche et comme le disait une parole attribuée à Ali ibn Abi Taleb, chaque richesse donnée par Dieu comporte la part des nécessiteux. Si cette part n’est pas redistribuée à ses ayants droits, ce phénomène crée de la pauvreté.

Zakat, sadaqa, waqf : les piliers d’une justice sociale

La zakat al maal n’est redevable dans son paiement qu’à ceux qui possède des économies annuelles fixée selon un montant du nissab de l’ordre de 4000 euros cette année. 2.5 % de ces économies sont alors reversés aux catégories suivantes : « Les aumônes sont destinées aux pauvres, aux nécessiteux, à ceux qui sont chargés de la collecter, à ceux dont les cœurs sont à gagner, au rachat des captifs, aux insolvables, à ceux qui se consacrent à la cause d’Allâh et aux voyageurs. C’est là une obligation provenant d’Allâh, et Allâh est Omniscient et Sage (Coran, sourate Tawbah, verset 60). ».

La zakat al fitr fixée cette année à 7 € doit être versée avant la prière de l’aïd al fitr, littéralement la fête de la rupture du jeûne, à des personnes nécessiteuses afin de leur permettre de passer ce jour de fête dans les meilleures conditions. La validité du jeûne du mois de Ramadan est même conditionnée dans une tradition prophétique à son versement.

La troisième et dernière forme d’aumône est la sadaqa qui est un don facultatif donné aux pauvres et aux nécessiteux, sans conditions.

Nous pouvons ajouter une quatrième forme de don légiféré, celle du waqf. Le waqf est le don d’un bien actif, comme une propriété, dont les fruits sont offerts aux nécessiteux ou utilisés comme bien d’utilité public. Le waqf est un bien social confié à un gestionnaire mais qui n’appartient à personne hormis la collectivité.

Une tradition prophétique rapportée par Abdullah ibn ‘Umar nous indique son origine :

« Umar avait acquis une terre à Khaybar. Il se rendit auprès du Prophète (ﷺ) pour le consulter à ce propos, en lui déclarant : Ô Messager d’Allah ! J’ai acquis une terre à Khaybar qui m’est le bien le plus cher que j’ai pu acquérir ! Que m’ordonnes-tu d’en faire ? Il lui répondit : Si tu veux, immobilises-en le fonds et fais-en aumône. Il poursuivit : Fais-en aumône, à condition que son fond ne soit ni vendu, ni donné, ni hérité. Umar fit donc un don pour les pauvres, pour ses proches, pour l’affranchissement des esclaves, dans la voie d’Allah et pour les invités, en autorisant à celui qui s’en occupe d’en manger de façon raisonnable et d’en donner à manger à un ami, sans en tirer profit. »

Créer de nouvelles structures de collectes

Et pourtant, malgré l’importance islamique de son dispositif, ce pilier de l’aumône, en tant que droit social du nécessiteux, n’a pas réellement été pris au sérieux dans son application en France. Récemment, le Conseil théologique des imams du Rhône mettait en garde les fidèles contre la fausse mendicité à la sortie des mosquées en leur demandant de ne pas l’alimenter.

Mais où et à qui donner ? Certaines mosquées ont des services sociaux qui savent à qui reverser les dons avec des dispositifs sociaux adaptés. Mais ceci est rare. La seule alternative repose sur les ONG humanitaires sauf que ces dernières envoient le plus souvent les dons à l’international, alors même que la paupérisation explose en France, avec près de 10 millions vivant sous le seuil de pauvreté.

Il convient donc de repenser les mécanismes de redistribution de la zakat à une échelle locale, régionale et seulement après, nationale.

La zakat doit être acheminée vers ceux qui y ont droit selon une logique de proximité. Pour autant, une gestion régionale permettrait de veiller à ce que les communes mieux loties socialement puissent reverser leurs excédents à des communes voisines. Des fonds de gestion de la zakat devraient à terme émerger sous certaines conditions.

La plus importante est la confiance. Un climat de défiance dû à un manque de professionnalisme, à une lecture temporellement et géographiquement décontextualisée de l’islam, et à une absence de vision sociale sérieuse explique sans doute en partie la cause de cette absence de fond de gestion. Les conflits nationalistes ou idéologiques entre responsables de mosquées couplés à une pauvreté criante de toute ingénierie sociale, alourdissent le constat.

Un fond de gestion a néanmoins déjà été créé en 2011, Zakat France. Mohammed Minta et Fethallah Otmani, cadres musulmans lyonnais connus et respectés pour leur engagement, en sont les créateurs et jouissent de cette confiance cardinale pour la réussite de ce type de projet.

Investir convenablement les fonds sociaux

Ceci dit, la condition d’une efficacité pour un fond de gestion de la zakat réside dans son ancrage territorial. Un maillage de terrain des lieux de culte musulmans et des espaces de sociabilité islamique est nécessaire pour plaider l’intérêt et la haute valeur sociale de ce type de projet. La seule existence virtuelle d’une structure autour d’un site n’est pas suffisant. Il faut multiplier ce type de fond de gestion et de centralisation de la zakat dans chaque région et département français.

L’utilisation des fonds doit également être reconsidérée. Outre les dons individuels aux personnes âgées, femmes isolées, malades, il serait temps de penser la conversion des fonds sociaux collectés vers des créations d’entreprises sociales et écologiques à haute valeur éthique. L’intérêt de ces projets est de créer de l’emploi et donc de lutter plus efficacement contre la pauvreté.

A notre connaissance, aucun dispositif de cette nature n’existe en France.

L’islam jouit d’une philosophie sociale et d’un dispositif règlementaire de lutte contre la pauvreté des plus efficace en la matière. Pourtant, sans structures et sans vision adaptée, ce dispositif restera lettre-morte comme il l’a été jusqu’à présent en France. Un engagement conséquent doit donc être mené sur le terrain et il appartient aux clercs de l’islam de mener ce travail maintenant.

Fouad Bahri

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