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jeudi 14 novembre 2024

Riyaad Ouakrim : réflexions sur la religiosité contemporaine

Le recours facile à la condamnation religieuse, au nom de l’innovation blâmable ou de l’argument d’autorité, est l’un des traits caractéristiques des débats religieux contemporains sur les réseaux sociaux. Que faut-il en penser ? Riyaad Ouakrim nous livre ses réflexions dans une chronique publiée sur Mizane.info.

Certains veulent être tellement chirurgicaux dans leur pratique religieuse, que si l’occasion leur en avait été donnée, ils auraient cherché à connaître l’angle qui se formait entre le bras et l’avant-bras du prophète – sur lui la paix et la bénédiction – quand il marchait, de sorte à légiférer sur la bonne manière de se déplacer. L’islam a déjà ses rituels orthodoxes qui permettent de pérenniser le rappel et l’alliance entre le dévot et le Seigneur. Nul besoin d’accentuer le champ légal en allant jusqu’à considérer qu’un texte doit nécessairement exister pour légitimer une fête, une pratique ou bien une simple cérémonie qui s’inscrivent tous dans un désir de louer Dieu, ses prophètes et ses saints. Surtout quand on sait que le Prophète rendait régulièrement hommage aux autres prophètes et patriarches, que la tradition énonce des faits miraculeux ayant eu lieu le jour de sa naissance, et qu’il est fait mention d’un Abu Lahab qui connaîtra sa peine allégée pour s’être réjouit de sa naissance.

Ce concept d’innovation blâmable pour toute chose amène à ce que l’on constate aujourd’hui : des individus obsédés par un exotérisme sec, tout en étant dénués de pouvoir de réflexion quant à leur propre rapport à la foi et ses dogmes. Rien de donc surprenant au fait qu’ils ne comprennent rien aux notions ésotériques. Tout cela pour dire que jamais rien ne doit nous empêcher de louer Dieu, et d’exprimer notre joie le jour de l’anniversaire de notre bien-aimé.

« Ô vous qui avez mis en œuvre le Dépôt confié ! Rappelez Allâh d’un rappel incessant, et immergez-vous dans l’Insondable en Lui au petit matin et au déclin du jour ! » Coran ; XXXIII ; 42-43.

Ecueils du progressisme

Ne vivre sa foi qu’à travers la discorde, l’apologie et la constante frustration de voir son paradigme contredit jusque dans ses moindres détails, c’est être au service d’un idéal prétentieux, fondé sur la seule certitude que sa propre croyance se suffit à elle-même pour rendre caduque toute vision relative. Un tel dévot n’est l’adepte que de son propre fantasme qu’il tient comme objet à même de rassurer ses angoisses, aussi superficiel et impertinent sous les traits d’un clerc que sous ceux d’un jacobin.

Nombreux sont ceux qui, à contrario, pensent que l’homme amené à épouser une voie religieuse, en reconnaissant la transcendance du Seigneur, ne le fait qu’à la suite d’une sorte de crise existentielle. Or, par définition, les grandes décisions qu’un individu est amené à prendre dans sa vie font souvent suite à une expérience vécue, propice à donner lieu à une reconsidération des positions. Cette crise existentielle peut ainsi être le nom de beaucoup de choses, et non seulement d’un objet religieux.

Et puis cette assertion, si on considère que le fond du propos est d’affirmer qu’il faille une expérience troublante pour adhérer à ce qu’ils estiment être un simple concept monothéiste, est fausse. Beaucoup ont été amenés à considérer la notion de transcendance sans qu’ils n’aient forcément connu la misère, la faim ou bien une expérience traumatisante.

Enfin, toute chose est de nature à nous faire méditer sur le sens que l’on donne à l’existence : la naissance, la mort, la nature, l’univers, la conscience des causes qui nous dépassent. Certains, peut-être trop impressionnés par les innovations technologiques – qui en vérité ne découlent que de notre faculté à observer des phénomènes physiques régis par des lois, et puis à les « dompter » – en viennent à penser que ce progrès se substitue par lui-même à tout principe de réalité supérieure.

Les limites de l’argument d’autorité

Pendant longtemps, on a tenté de nous démontrer par A+B que la vision de l’islam que l’on nous présentait était parfaitement intelligible, et que les autres branches reposaient leurs fondements sur de la spéculation. Maintenant que nous vivons une ère où l’échange est plus aisé, il apparait évident que tout cela s’avère beaucoup plus complexe, et que ces prédicateurs partaient de mille-et-uns postulats pour balayer toute interrogation. Quand ils n’occultaient pas complétement l’affaire.

Il est donc bien facile, après l’ère Ahmed Deedat et Zakir Naik, d’invoquer des arguments d’autorité à tout-va – souvent de manière incohérente – alors même que l’on ne se montraient pas aussi pro-théocrate (on versait même dans le mu’tazilisme à mi-temps) quand il s’agissait de démontrer la véracité de l’islam par rapport aux dogmes exogènes. Pour dire, ce discours m’a toujours interpelé, et pas depuis midi la veille. C’est assez précoce que j’ai eu à lire et méditer sur tout ce qui était lié à l’islam, et déjà à l’époque, je remarquais que beaucoup de musulmans, autant ceux de ma génération que les précédentes, ne connaissaient pas grand-chose à la richesse du patrimoine islamique. Encore moins les récits les plus tabous.

Mais le véritable problème, c’est la manière dont l’on considère que les choses vont de soi. On en arrive à oublier et négliger la genèse islamique, et je soutiens qu’à elle seule, elle suffit pour légitimer toute interrogation. D’ailleurs, je pense qu’elle renseigne bien sur notre état d’esprit, nous qui en vérité sommes à l’image de nos aïeux dans leur querelle perpétuelle. Plus encore, il y a une négation du devoir du fils d’Adam de méditer son rapport à l’information dogmatique. Sans broncher, on lui indique que la seule voie à suivre est celle d’une élite théocratique particulière, qui serait bien-entendu celle désignée dans le Coran. Tous ainsi invoquent la figure du savant telle qu’elle est prescrite, comme si ces versets renseignaient davantage sur leurs identités.

La raison demande que l’homme questionne toute chose. Il est vrai que c’est un discours inintelligible pour beaucoup, tant la doctrine tranchante fait aujourd’hui loi. Mais il est dommage, quand on a la prétention d’être plus rationnel et plus pertinent sur le plan dialectique qu’autrui, d’occulter une réalité pourtant toute naturelle. N’est-ce pas le Seigneur qui affirme que suivre une voie du fait qu’elle soit ancrée dans un espace ne saurait constituer un argument valable ? Sommes-nous sûrs, si le Jour Dernier ne devait pas se dérouler en notre faveur, que les références que nous suivons porteront sur eux notre fardeau ?

Quoi qu’il en soit, il n’y a nul besoin d’être un savant pour méditer sur la question. Par définition, être adepte d’une voie suppose au préalable que l’on adhère en tout état de cause à un fondement. Sinon, les savants seraient des sortes de figures christiques sur lesquels reposeraient tous nos péchés. C’est donc avant tout un problème d’argument et de manière dont l’affaire est présentée. Car l’adhésion à une voie repose avant tout sur la Fitrah – l’intuition divine – et les affinités que l’on peut avoir avec le fond ou l’expression d’un dogme. On ne saurait donc tout rationaliser.

Un élément que j’ajouterais à l’équation – et il s’agit ici de méditer sur le rapport chirurgical que nous entretenons avec les dogmes – : la question de la recherche sincère. Les voies islamiques ont développé cette faculté à se montrer tranchantes sur le moindre doute, le moindre questionnement remettant en cause, même partiellement, un élément du dogme qu’une voie aura accentué, et ce même si elle devait ne pas contredire le principe de la transcendance divine. Comme je l’ai écrit plus haut, il y a un manque de flexibilité qui tend à présenter une islamité ne tenant qu’à un fil. Le manque de considération pour la complexité d’un monde qui pousse l’homme à hésiter, à interroger un vaste environnement scripturaire, ne me semble pas relever d’une posture juste et miséricordieuse. En vérité, quand on sait la réalité des antagonismes lors la genèse islamique, les réactions de part et d’autre, à une époque moderne où la médiocrité est plus expressive, ne devraient guère nous surprendre.

Le devoir d’humilité

La plus grande preuve d’intelligence, de bonne foi et de bonté, c’est lorsque l’on est à même de reconnaitre ce qui est juste, même quand cela doit émaner d’un ennemi. L’esprit partisan — et nous en sommes tous imprégnés — ne doit pas être un frein à la reconnaissance de ce qui nous parait profondément pertinent et véridique. On nous a inculqués la détestation de la haine, de l’orgueil, de l’égocentrisme et de l’arrogance, notamment au travers de métaphores et de personnages caricaturaux issus de romans ou de dessins animés. Et pourtant, avec le temps, on finit par se rendre compte combien Diable ils sont — les Hommes — plus vicieux que ces personnages fictifs, tant ces caractéristiques se manifestent chez eux de la plus subtile des manières. J’ai côtoyé de près ces espèces d’individus qui parlaient d’amour, de sincérité, parfois de prophètes et de gloire de Dieu, et qui se faisaient défenseurs d’un idéal, d’un patrimoine scripturaire et d’une certaine justice. Mais, pour paraphraser un adage de la tradition, tous ces discours ne dépassaient guère le niveau de leur gorge.

Riyaad Ouakrim.

Je n’ai jamais eu la prétention de discerner le vrai du faux dans toute chose, et encore moins quand cela concerne les voies menant au Seigneur. Je reste prudent, et me garde sur de nombreux sujets de me montrer catégorique. Surtout à une époque où la critique est souvent employée de manière maladroite, impertinente, et se montre finalement toute aussi fanatique et sûre de soi. Cela dit, ce sont les contradictions apparentes et les certitudes qui se veulent vérités absolues que je pointe le plus souvent du doigt. Notamment cette manie d’invoquer des arguments d’autorité dans des discussions qui n’y sont pas propices, et ce, sans même que j’en vienne à forcément considérer que l’objet de la critique relève forcément du mensonge.

Mais la posture apologétique ne suffit pas, et ne vaut même rien dans le cadre de certaines discussions – celles qui se veulent hautement intellectuelles et démonstratives. Comme j’aime (et ai déjà eu à) le dire : L’autorité du savant n’est effective que dans la mesure où elle s’applique dans son domaine de prédilection. En d’autres termes, invoquer le statut d’un tel érudit, de manière à en faire un argument d’autorité et ainsi faire valoir une pensée, n’a de sens que si le champ antagoniste auquel on s’oppose adhère à un même fondement dogmatique.

En somme, il ne peut y avoir confrontation savante, s’il y a au préalable confusion sur ce qui fonde les convictions de chacun. J’irais même plus loin en affirmant que l’homme est de nature à s’affronter, qu’il est sujet à la joute dès lors où il se met à penser. Il est capable de ressentir des notions générales – comme la conscience de l’existence de l’Etre Divin – mais il ne fera que diverger avec son congénère dès lors où il entrera dans les détails. Plus encore s’il en vient à leur accorder, sans aucune espèce de mesure, une bien grande importance. Et c’est en entrant dans ces détails, en présentant l’adhésion aux principes qui en découlent comme des conditions sine qua non pour la sauvegarde de son âme, sans considération aucune pour leur complexité, que l’on rend étroite toute voie menant à la Miséricorde. Que Dieu me garde de prétendre mieux cerner le monde que l’ensemble des pointures de l’Histoire.

Riyaad Ouakrim

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