« Le papillon préfère se brûler à la torche plutôt que vivre dans les ténèbres » écrivait le poète mystique et conteur Saadi, né en 1210 à Chiraz et auteur du livre « Le jardin de roses ». Une plongée dans son œuvre.
Le respect du maître
Un homme, qui excellait dans l’art de la lutte, maîtrisait trois cent-soixante prises et en présentait de nouvelles chaque jour. Il admirait particulièrement la beauté de l’un de ses élèves à qui il enseigna chacune de ses prises, à l’exception d’une seule. Bientôt, le jeune homme avait acquis tant de puissance et de légèreté que personne ne pouvait se mesurer à lui.
Un jour, il en vint même à dire au roi : « Je respecte mon maître pour son âge et pour ce qu’il m’a enseigné mais je ne suis pas moins fort que lui et mes talents égalent les siens. » Le roi, mécontent de tant d’arrogance, ordonna au maître et à l’élève de lutter ensemble. On choisit un vaste espace, les grands de l’Etat et les courtisans s’y pressèrent. Le jeune homme chargea à la manière d’un éléphant furieux avec un élan tel qu’il aurait pu arracher une montagne de fer.
Mais le maître, qui le savait plus fort que lui, l’attaqua avec cette prise qu’il s’était gardé de lui apprendre : le jeune homme ne put la parer. Le maître le souleva de terre, le porta au-dessus de sa tête et le jeta au sol.
Une clameur s’éleva de la foule. Le roi ordonna qu’on apporte une robe d’honneur et d’autres présents au maître, et réprimanda ainsi son élève : « Tu prétendais pouvoir battre ton maître mais tu as échoué. » Le jeune homme répondit : « Sire, il ne m’a pas vaincu par la force. Il m’a caché l’existence d’une prise grâce à laquelle il l’a emporté sur moi aujourd’hui. » Le maître dit : « Je l’avais gardée pour une occasion comme celle-ci car les sages ont dit : ‘‘Ne donne pas à un ami assez de force pour te nuire s’il devient un jour ton ennemi.’’ Ne connais-tu pas les mots du maître qui fut malmené par celui qu’il avait éduqué : Soit la fidélité n’est pas de ce monde, soit personne ne la pratique aujourd’hui. Chaque élève à qui j’ai enseigné l’art du tir à l’arc a fini par me prendre pour cible. »
(…)
La pluie affecte-t-elle le malheureux qui se noie ?
Le papillon préfère se brûler à la torche plutôt que vivre dans les ténèbres.
Le voleur et le soufi
Un voleur entra dans la maison d’un Soufi mais n’y trouva rien. Comme il s’en allait les mains vides, le derviche sentit son désespoir et lança devant le voleur la couverture dans laquelle il dormait afin que le voleur ne partît pas désappointé.
J’ai entendu dire que ceux qui marchent
Sur le chemin de Dieu
Ne troublent pas même le cœur
De leurs ennemis.
Comment peux-tu espérer atteindre un rang élevé,
Toi qui est en désaccord et en inimitié avec tes amis ?
(…)
Si ton cœur est plein de perles, imite l’huître, ferme bien ton cœur.
Le véritable ami est celui qui ôte les pierres et les ronces devant nos pas.
Le crâne du roi
Un jour sur les berges du Tigre, un pieux soûfi aperçut un crâne, qu’il ramassa. Grande fut la surprise du soûfi d’entendre ce crâne lui dire : Autrefois, une couronne à ceint mon front, Dieu s’étendait sur mes armées ! J’avais conquis l’Irak, je marchais Karmân, lorsqu’une légion de vers s’est abattue sur mon cadavre ! Ecoute, d’une oreille attentive, les sages conseils que te donnent les morts.
Le juste n’a rien à redouter des hommes. Comme le scorpion meurt dans sa cachette, l’homme qui a fait le mal expire dans la solitude et l’oubli. Si tu ne pratique pas la charité, je comparerai ton cœur à une pierre, et encore je me tromperai, car la pierre est quelque fois utile.
La bonté est une graine qui produit toujours des fruits, mais il faut savoir semer cette graine. Et c’est là tout le secret.
(…)
Il vaut mieux porter le poids de son propre chagrin que le fardeau des obligations contractées envers autrui.
Ne demande la vérité qu’à tes ennemis.
Saadi
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