Quel est l’ordre des étapes qui précèdent l’entrée à la Mecque du pèlerin et leur signification ? A l’approche du hajj, suite de la présentation sur Mizane.info du chapitre consacré au pèlerinage de l’ouvrage « Les secrets des piliers de l’islam » de l’imam Sha’rani, traduit par Abd al-Wadoud Gouraud (éditions I) que nous publions avec l’autorisation de l’éditeur.
Dieu a appelé l’humanité au pèlerinage. Il en a fait une obligation rituelle à condition d’en avoir la capacité. En arabe, le terme hajj est synonyme de qaçd qui signifie « avoir pour but », « viser », ou encore « s’adresser à », « se tourner vers » une personne en lui rendant visite là où elle réside. On disait que les anciens Arabes rendaient visite (tahujju) à al-Nu‘man qui était leur roi, c’est-à-dire qu’ils cherchaient à le rencontrer afin qu’il satisfasse à leurs besoins. De plus, l’étymologie de hajj vient de mahajja qui est la voie ou le chemin suivi par le pèlerin qui a pour but de visiter la Demeure de Dieu. On comprend par là que l’homme est appelé à se tourner vers Dieu de tout son être, en visant Sa rencontre en son cœur car c’est là où Dieu se manifeste. « Cherchez-Moi auprès des cœurs abattus ! » dit-Il.
Dieu avait ordonné à Abraham de purifier le Temple sacré pour les pèlerins qui tournent autour et qui y font retraite. Il ordonna également à notre Prophète Muhammad, lorsqu’il rentra à La Mecque l’année dite de la « Victoire » (fath), de purifier la Demeure de Dieu des idoles et des impuretés liées à l’époque de l’Ignorance (al-jâhiliyya). Dieu lui ouvrit ainsi (fataha) les portes de La Mecque à ce moment-là. De façon analogue, lorsque Dieu accorde à l’homme une ouverture spirituelle (fataha), Il l’aide à vaincre le Diable et ses suppôts, mais aussi l’ignorance et les formes subtiles de polythéisme qui se cachent en lui. Dieu le purifie des statues intérieures qui prennent forme en son cœur et auxquelles l’âme s’attache en s’imaginant qu’elles ont le pouvoir de nuire et d’aider. On dit d’ailleurs que la Pierre noire est devenue noire à force d’être touchée par les mains des idolâtres. Le tréfonds du cœur, lui aussi, s’assombrit uniquement à cause de la mentalité polythéiste, de l’ignorance et des suggestions diaboliques faisant que le cœur s’endurcit et se recouvre de rouille.
Autre symbole, autre enseignement : on ne peut voir la Ka‘ba depuis chez soi, c’est comme si elle était absente pour nous ou comme si nous étions absents pour elle. De même, les réalités secrètes du cœur et leur action ici-bas sont invisibles et comme absentes à nos yeux. Il faut alors abandonner sa patrie et prendre la direction de La Mecque pour le pèlerinage : ainsi la réalité secrète du cœur quitte-t-elle ce bas-monde pour aller vers Dieu, et c’est là « le plus grand pèlerinage »,[1] dans son sens profond, pour celui qui y accède.
La voie du pèlerinage
La première chose à faire pour pouvoir accomplir le pèlerinage : parcourir la voie qui mène au Temple sacré. Tout au long de son chemin, le pèlerin devra affronter un certain nombre de dangers, il rencontrera des choses qui l’effraieront ou d’autres, au contraire, qui l’aideront. On a là une image du cheminement initiatique vers Dieu : un parcours progressif à travers des demeures spirituelles, au cours duquel on est en proie aux suggestions diaboliques et aux souffrances psychiques, mais où l’on bénéficie aussi d’inspirations angéliques et de moments de grâce lorsque Dieu aplanit la voie qui mène à Sa proximité.
L’arrivée aux lieux de la sacralisation
L’arrivée du pèlerin aux lieux prévus pour la sacralisation, après avoir laissé derrière lui sa patrie, symbolise l’effort d’élévation que le serviteur accomplit avec son cœur pour humer les parfums spirituels émanant du Royaume céleste et angélique ; il doit alors jeter derrière lui toutes les choses de ce monde, en n’y accordant plus aucune attention. Arrivé à cet endroit, le pèlerin commence par ôter ses habits cousus, à l’image du cœur qui est dépouillé des confusions et des ambiguïtés qui l’empêchent de s’engager aux côtés des initiés dans la voie de Dieu et de progresser dans le cheminement spirituel.
Ensuite le pèlerin accomplit la grande ablution pour prendre l’état de sacralisation, de la même façon qu’il faut assainir le cœur en le débarrassant des résidus profanes qui risquent de le contaminer tout entier. C’est ainsi que le cœur se prépare pour se présenter devant Celui qui purifie les secrets intimes des cœurs. Puis le pèlerin revêt les habits de sacralisation (deux étoffes sans couture), symbole du cœur qui adopte la méthode de l’ascèse. Le pèlerin accomplit ensuite deux unités de prière, qui symbolisent l’humilité et la modestie à laquelle doit s’appliquer l’initié s’engageant dans la voie de Dieu, en renonçant pour cela à toute forme d’orgueil. Un tel vice ne convient guère, en effet, à la voie des gens de Dieu. Ensuite le pèlerin prend la ferme résolution de s’astreindre à l’état de sacralisation, en entrant en ces lieux saints avec une intention claire. Du point de vue intérieur, cela correspond à l’engagement du cœur à remplir les obligations inhérentes à la voie spirituelle, car quiconque entre dans une voie est tenu d’en respecter les obligations avec la plus grande détermination.
Significations de la talbiya
Vient ensuite la talbiya. Dieu appelle les hommes à Lui. Il leur demande de se détourner de tout autre que Lui. Ainsi les pèlerins s’écrient-ils en réponse à cet Appel divin : Labbayka Allâhumma labbayka, « Nous voici à Toi, ô Dieu, nous voici à Toi ! ». C’est ce rite qu’on appelle al-talbiya. Pourquoi faut-il élever la voix en disant cela ? Parce que le serviteur se trouve alors dans un état d’absence et donc d’éloignement par rapport à Dieu, il n’est pas encore conscient de la Présence de son Seigneur. Il doit par conséquent réciter la talbiya et manifester haut et fort sa réponse à Dieu. « Ô vous qui avez la foi, répondez à Dieu et au messager lorsqu’Il vous appelle à ce qui vous donne et redonne vie. Et sachez que Dieu se place entre l’homme et son cœur ».[2] Si le serviteur élève la voix, c’est uniquement pour dissoudre en lui les pensées distraites qui, tels des bandits de grand chemin, tentent de l’écarter de la voie de Dieu. Ce n’est certainement pas pour que Dieu l’entende mieux, car Il n’est ni sourd ni absent. Le serviteur n’élève donc la voix que pour concentrer toutes les puissances de son être sur la Présence divine.
Les interdits propres à l’état de sacralisation
L’état de sacralisation interdit au pèlerin de chasser le gibier et de le tuer. Cela signifie, sur le plan intérieur, qu’il faut abandonner les astuces conçues pour jouir de ce monde, et renoncer à courir après celui-ci sous couvert de la religion. Le serviteur a reçu de Dieu l’ordre de s’approvisionner pour le pèlerinage : « Faites des provisions, et la meilleure des provisions est la crainte de Dieu ! »[3].
Il laisse de côté parfums et bien-être, ce qui signifie abandonner tout excès et toute résistance aux engagements de la voie de Dieu, ne plus se fier aux pièges de l’âme, et ne plus commettre d’interdits. On sait que celui qui enfreint cette règle devra offrir un sacrifice compensatoire et une expiation. Du point de vue de la voie spirituelle, l’âme expie ses fautes en retournant à Dieu par le repentir, en réparant l’injustice qu’elle a commise, et en cessant immédiatement son méfait avec la ferme intention de ne plus le commettre.
Abd al-Wahhab Sha’rani
Notes :
[1] Coran, 9 : 3.
[2] Coran, 8 : 234.
[3] Coran, 2 : 197
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