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lundi 23 décembre 2024

Sha’rani : l’entrée à La Mecque et les circumambulations

De la Mecque à Arafat, quelles sont les étapes que le pèlerin doit accomplir et quelle est leur signification spirituelle ? Suite de la présentation sur Mizane.info du chapitre consacré au pèlerinage de l’ouvrage “Les secrets des piliers de l’islam” de l’imam Sha’rani, traduit par Abd al-Wadoud Gouraud (éditions I) que nous publions avec l’autorisation de l’éditeur.

Lorsque le pèlerin entre à La Mecque, il cesse de réciter la talbiya car la réalité secrète de son cœur prend conscience de la Présence du Roi aussitôt qu’il pénètre dans Sa cour. Ce serait effectivement manquer à la politesse et aux convenances spirituelles que d’élever la voix en présence de l’Éminent, du Très-Haut. D’ailleurs, cette prise de conscience interrompt d’office les distractions qui nécessitaient auparavant qu’il élevât la voix puisqu’il était alors absent à Dieu.

Puis, le pèlerin tourne physiquement autour du Temple sacré, à l’image du cœur qui voyage à travers les mondes du Royaume céleste et angélique autour du Trône divin. Le pèlerin commence et finit les circumambulations rituelles (tawâf) au niveau de la Pierre noire enchâssée dans l’angle yéménite de la Ka‘ba. Certains compagnons du Prophète avaient l’habitude de faire un geste de la main en signe de salut adressé à la Pierre noire. D’autres ne se limitaient pas à la Pierre noire et saluaient chacun des angles (arkân) de la Ka‘ba, indiquant implicitement par là qu’ils voulaient plaire à Dieu, que leur cœur comptait (rakana) sur Lui en chaque chose et s’apaisait en allant vers Lui. L’attitude de celui qui se limite à l’angle yéménite fait allusion, quant à elle, à la déférence et au respect que peut éprouver et manifester une personne qui rencontre le Roi : elle embrasse sa main, l’entoure d’égards et tourne autour de lui, sans jamais l’approcher directement, et ce par crainte révérencielle et dans l’espoir de pouvoir à nouveau Le rencontrer.

Par ailleurs, les circumambulations rituelles autour de la Ka‘ba sont au nombre de sept : trois tours en accélérant le pas et quatre autres en marchant. De façon analogue, lorsque le serviteur contemple, dans la réalité secrète de son cœur, Celui dont il serre la Main Droite,[1] il déploie tous ses efforts pour manifester une attitude grave et solennelle, et pour décrire toute la vénération et tout l’amour qu’il éprouve. Il sera alors progressivement autorisé à entrer dans l’intimité du Roi et trouvera, grâce à Son hospitalité, paix, douceur, quiétude et miséricorde, car, selon un hadith, « celui qui accomplit les circumambulations baigne dans la Miséricorde ».

Ensuite, le pèlerin s’écarte un peu de la Ka‘ba et se place à l’endroit appelé la « station d’Abraham » (maqâm Ibrâhîm) l’ami intime de Dieu, où il effectue deux unités de prière, ce qui signifie, sur le plan intérieur, que lorsque la réalité secrète du cœur est touchée par les fulgurances de la Main divine, Son Amour imprègne aussitôt le cœur. Dieu a commencé à introduire Son serviteur à la station de l’Amitié intime, Son serviteur Lui rend donc grâce de cet honneur en se prosternant humblement.

Le pèlerin retourne ensuite vers la Pierre noire et l’embrasse, tout comme la réalité secrète du cœur retourne vers la Main divine et l’embrasse en reconnaissant la faveur de Dieu qui l’a conduite à la Demeure de l’Amitié intime et de la Certitude. Voir la faveur et l’accepter, c’est voir en fait la Main qui favorise et l’embrasser.

Entre Safa et Marwa

Après cette prière symbolique, le pèlerin se rend non loin de là, sur une butte nommée al-Çafâ, pour y implorer Dieu. Après être passée par la station spirituelle précédente, et après avoir contemplé la faveur de Dieu et renouvelé son allégeance, la réalité secrète du cœur, elle aussi, quitte cette condition pour aller vers son Seigneur. Elle abandonne toute prétention ou revendication individuelle, et s’attache à la pauvreté en Dieu en se dépouillant de tous les états spirituels. C’est ainsi que le cœur est épuré (yaçfû) des formes subtiles de polythéisme caché qui fait que l’âme s’attribue les choses à elle-même. Ensuite le pèlerin se hâte de rejoindre l’autre butte, nommée al-Marwa, où il s’arrête brièvement. Le sens intérieur et symbolique de cette course entre les buttes de Safa et Marwa est que la réalité secrète du cœur s’extirpe des choses créées pour s’élever au-dessus d’elles. Le cœur progresse dans son ascension en montant sur Safa en même temps que le serviteur récite la formule du tawhîd : lâ ilâha illâ Allâh, « point de divinité hormis Dieu ». Puis il renonce, grâce à la pureté de son cœur, à s’attribuer la moindre station, ou à croire qu’il y est parvenu. Il s’enfuit alors jusqu’à Marwa car ce n’est pas faire preuve de virilité spirituelle (murû’a) que de penser que son âme mérite quoi que ce soit, ou d’avoir une quelconque prétention en présence de Celui qui est le Propriétaire et Pourvoyeur de toutes choses. Une telle attitude serait même la pire des infamies, et c’est pourquoi il doit rejoindre Marwa au plus vite, aussitôt qu’il en a conscience. Il fuit alors la fausse prétention d’avoir des états intérieurs purs. Bien mieux, il sort, s’extirpe de ses états intérieurs.

Si le pèlerin fait le grand pèlerinage (à la différence du petit pèlerinage, ‘umra), il continue à garder l’état de sacralisation. À ce moment-là, les rites relatifs à l’arrivée (al-qudûm) sont accomplis. Dans ce cas, les circumambulations effectuées sont appelées tawâf al-qudûm, du fait de l’arrivée des pèlerins sur le lieu où ils vont passer la nuit à Mina, mais aussi, d’un point de vue intérieur, du fait que la réalité secrète du cœur arrive devant l’Éternel (al-Qadîm), qui offre (taqaddama) Ses grâces au serviteur et l’installe dans Son voisinage afin que le cœur quitte définitivement les choses créées pour Le rejoindre.

De La Mecque à ‘Arafat

Les pèlerins quittent ensuite La Mecque pour ‘Arafat, à l’image de la réalité secrète du cœur : lorsqu’elle se retire et demeure au plus près de Dieu, en sécurité dans Son territoire sacré, Il l’appelle à se présenter à Lui, afin qu’Il fasse savoir au cœur ce qui joue pour lui ou, au contraire, contre lui. Le cœur se remémore alors sa vie écoulée, et quitte donc, de fait, la Proximité divine où il se trouvait, pour regarder en arrière vers les événements du passé.

‘Arafat est l’étape la plus extraordinaire du grand pèlerinage, celle où l’on est présenté à Dieu et où l’on se tient devant Lui. Les pèlerins campent d’abord à Mina, en un lieu nommé Khîf banî kinâna, « le bassin de la tribu des Banu Kinana », étant donné que le Prophète avait fait halte à cet endroit situé devant la plaine de ‘Arafat. De même, lorsque la réalité secrète du cœur se prépare à se présenter devant Dieu, il est nécessairement rattrapé en chemin par la crainte (khawf) de Dieu. Et quand le cœur craint vraiment Dieu, il ne désespère pas ; il se fait au contraire la meilleure idée de Lui en nourrissant l’espoir de recevoir Son immense pardon.

Les pèlerins s’acheminent ensuite vers ‘Arafat. De même, une fois que la réalité secrète du cœur est entrée dans cette station de la crainte et de l’espérance en Dieu, alors la connaissance (ma‘rifa[2]) de Dieu, selon ce qui convient à Sa grandeur, lui apparaît peu à peu, jusqu’à ce que le cœur parvienne effectivement à la Connaissance. Les pèlerins font donc halte à ‘Arafat. Ils stationnent et attendent là jusqu’au moment où le soleil quitte son zénith et commence à décliner. Cette halte symbolise celle des cœurs demeurant dans l’attente de la connaissance de Dieu qui vient s’y établir en fonction des inspirations liées à la crainte ou à l’espérance.

Une fois que le soleil commence à décliner, l’imam entame son prêche devant les pèlerins réunis. Du point de vue intérieur, c’est l’annonce faite au cœur que la manifestation du Roi approche, afin qu’il se prépare à Son arrivée, qu’il apprenne les bonnes manières à respecter devant Lui, et qu’il sache comment il convient de se tenir en Sa présence en Lui manifestant toute la déférence et la vénération qui sied à Sa Majesté. Après le sermon de l’imam, les pèlerins accomplissent la prière rituelle, à l’instar de la réalité secrète du cœur lorsque le Roi se manifeste : elle se soumet humblement et se prosterne en face de Sa Majesté. La prière dont il s’agit n’est pas seulement un rite obligatoire qui s’inscrit dans le temps légal d’une prière rituelle ; cette prière fait aussi of ce de salutation (çalât tahiyya) adressée à la Théophanie, car elle est accomplie en un moment et un lieu particuliers qui sont ceux où le cœur s’expose et rend des comptes. Et lors de la Rencontre et du Jugement de Dieu, personne n’ose offrir de « cadeau », en l’occurrence une prière surérogatoire.

En cette occasion, les pèlerins regroupent les prières obligatoires de midi (al-zhuhr) et de l’après-midi (al-‘açr), en anticipant donc le temps légal de cette dernière. Ils font ce qu’on appelle un jam‘ taqdîm[3]. En effet, celui qui est présenté (quddima) devant Dieu, en vue d’être jugé et exposé, n’a de cesse d’implorer d’avoir la vie sauve en face du Roi des rois. Ainsi donc, aussitôt que ces prières ont été accomplies, les pèlerins font halte et se mettent à invoquer Dieu, avouant leurs péchés, et ce, jusqu’au coucher du soleil. Il en va de même de la réalité secrète du cœur : lorsqu’elle connaît Dieu dans une certaine station spirituelle et qu’elle contemple Sa Magnificence, ses actions bonnes et mauvaises lui apparaissent. Le serviteur voit alors ce qui joue en sa faveur et ce qui joue contre lui, ce qu’il a accompli pour lui-même, et ce qui s’est passé tout au long de sa vie. Dans cette station spirituelle, toutes les choses cachées et enfouies en lui reviennent à sa mémoire. Il avoue toutes ces choses devant son Créateur, et ne cesse de L’invoquer et de L’implorer, jusqu’à ce qu’il trouve les signes de la réconciliation avec Dieu et Son épais voile de Pardon. C’est là qu’on trouve les effets de la révélation particulière que Dieu fait à Ses Anges le jour de ‘Arafat, en ce Jour où Il observe avec Bienveillance les pèlerins réunis. Il les regarde en disant à Ses Anges : « Regardez Mes serviteurs : ils sont venus à Moi ébouriffés et recouverts de poussière ! »[4]

Abd al-Wahhab Sha’rani

[1] Référence au hadith : « La Pierre noire est la Main droite de Dieu sur terre. »

[2] Les mots ma‘rifa et ‘arafat dérivent tous deux de la racine ‘ R F signifiant « connaître ».

[3] Cette disposition est généralement réservée au voyageur. Le musulman en voyage bénéficie en effet, selon les écoles, d’un allègement sous forme de dérogation (rukhça) concernant l’accomplissement des prières rituelles. Il a la possibilité de raccourcir (qaçr) les prières de quatre cycles en deux cycles, de regrouper (jam‘) deux prières successives en les accomplissant, soit durant le temps de la première prière, soit durant le temps de la prière suivante. La première option est appelée jam‘ tadqîm, la seconde option jam‘ ta’khîr.

[4] Rapporté par Ahmad ibn Hanbal, al-Bazzar et Tabarani.

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