L’acteur syrien Lojain Ismail dans le rôle de Muawiyya (Twitter).
La chaîne saoudienne MBC prévoyait la diffusion d’une série consacrée à Muawiyya, l’homme qui prit le pouvoir à la suite d’un conflit avec Ali ibn Abi Talib, quatrième calife pour les sunnites et premier imam pour les chiites. Une annonce qui a mis le feu aux poudres. Mizane.info vous en dit plus.
En quelques mois, un film (The lady of Heaven, ndlr) et plusieurs séries TV consacrés à l’histoire originelle de l’islam (Muawiyya, Abu Lou’Lou’a, ndlr) ont relancé sur la scène du présent les plaies et les fissures islamiques du passé. Cela a commencé avec le film « Lady of Heaven », un film consacré à Fatima, la fille du Prophète, réalisé en 2021 par Eli King avec la participation de Yasser al-Habib, un religieux musulman chiite d’origine koweïtienne et propriétaire de la chaîne britannique Fadaq TV.
Le film avait fait l’effet d’une bombe puisqu’il relate, sans aucune nuance et de manière extrémiste critiquent ses détracteurs, le récit de la version chiite des évènements qui ont suivi la mort du Prophète et sa succession.
L’effet boomerang d’une histoire passionnelle
Un film médiocre fait pour diviser sunnites et chiites : cette critique sur « The Lady of Heaven » a été faite, y compris par de hauts dignitaires chiites en Iran et au Liban à l’instar de Hassan Nasrallah, le leader politico-religieux du Hezbollah, irrité, selon le site MEE, par les discours de Yasser al-habib et ses imprécations contre les deux premiers califes Abu Bakr et Umar, accusés d’avoir subtilisé le pouvoir à Ali, et l’épouse du Prophète Aïcha qui l’a combattu à la bataille du Chameau.
Pour les sunnites, le Prophète n’a nommé aucun successeur à sa suite, laissant à la communauté musulmane le devoir de choisir son « calife/imam » par le principe coranique de la consultation (choura). Pour les chiites, qui s’appuie sur des hadiths, le Prophète a, au contraire, désigné Ali comme son successeur à la tête de la communauté musulmane.
Plus récemment, le dernier pavé jeté dans la mare venait cette fois de la chaîne saoudienne MBC qui avait annoncé la sortie d’une série diffusée pendant le Ramadan sur Muawiyya, fils d’Abou Soufiane, cousin et ennemi déclaré du Prophète jusqu’à son retour victorieux à La Mecque.
Muawiyya, une figure clivante
Muawiyya est l’une des figures qui divisent les musulmans sunnites et chiites. Chez les premiers, un avis majoritaire le considère comme un compagnon du Prophète, statut religieux important dans l’islam sunnite, puisque Muawiyya a rencontré le Prophète à la fin de sa vie et à l’instar de son père, aurait embrassé la foi islamique. D’autre sunnites portent un autre regard et voient en Muawiyya celui qui a mis fin au califat prophétique pour instaurer la monarchie.
Pour les chiites, Muawiyya est un ennemi acharné du premier de leurs imams, Ali ibn Abi Talib, cousin et gendre du Prophète à travers son mariage avec sa fille Fatima. Le fils de Muawiyya, Yazid, qui lui succèdera dans des conditions contestées, sera par ailleurs le responsable du massacre de la plus grande partie de la descendance du Prophète à travers Hussayn, qui s’opposa à sa régence, et de ses proches et descendants, à l’exception de son fils Ali Zayn Al ‘Abidin.
Les chiites reprochent également à Muawiyya d’avoir fait maudire durant son règne et au cours des prêches dans les mosquées le nom de Ali. Une pratique qui sera interdite par Omar ibn Abdelaziz, le huitième responsable omeyyade à accéder au pouvoir.
La Grande discorde au coeur de la polémique
Après l’assassinat du troisième calife Uthman ibn ‘Affan, issu de la tribu des Omeyyades (banu umayya) comme Muawiyya, et l’accession dans des conditions difficiles de Ali au califat, une grande discorde (fitna al kubra) avait éclaté entre certains compagnons du Prophète sous la bannière de Aïcha et Ali, suivi par d’autres compagnons. Une dernière catégorie ayant refusé de prendre part au combat faisant le choix d’une neutralité.
La bataille du chameau, suivi d’un affrontement entre les armées de Ali contre celle du gouverneur de Syrie, Muawiyya, à la bataille de Siffin, ne permit pas au gendre du Prophète d’imposer définitivement son califat/imamat politique malgré des succès militaires.
C’est dans ce contexte historique passionnel que l’annonce de la diffusion de la série sur Muawiyya pendant le mois de Ramadan qui débutera le 23 mars et qui a joui d’un budget de 100 millions de dollars, a provoqué la colère des opinions chiites sur les réseaux sociaux, selon une information relayée par The Middle East Eye.
L’appel de Moqtada Sadr
Le leader chiite irakien Moqtada Sadr a par exemple twitté un message conseillant à la chaîne saoudienne de ne pas remettre de l’huile sur le feu en diffusant cette série sur Muawiyya.
« C’est le premier qui a insulté les compagnons du prophète, le premier qui a désobéi au plus grand imam de son temps et qui a brisé l’unité des musulmans », a twitté le leader irakien pour lequel diffuser cette série serait tout à fait « contraire aux nouvelles politiques modérées de l’Arabie saoudite ». « Évitez de blesser les sensibilités de vos frères musulmans partout dans le monde », a-t-il ajouté.
D’après le site d’information Al Akhbar, la série Muawiyya ne serait pas diffusée ce mois de Ramadan mais aurait été déprogrammée à une date inconnue. Le règlement des comptes historiques par production télé interposée semble quoi qu’il en soit s’inscrire comme une nouvelle pratique culturelle au Moyen-Orient.
Une série sur l’assassin de Omar
L’Instance irakienne de radio et télécommunications a ainsi non seulement annoncé l’interdiction de la diffusion de la série saoudienne sur Muawiya, mais aussi celle d’une autre série irakienne sur Abu Lou’Lou’a (Pirouz Nahavandi, de son nom perse, dont un mausolée fut bâti en son hommage il y a plusieurs siècles près de Kashan en Iran), l’homme qui assassinat le calife Omar Ibn al-Khattab, compagnon et parâtre du Prophète et l’une des figures centrales dans le sunnisme.
Si le conflit autour de la succession du Prophète était à sa naissance politique, il devint au fil du temps religieux, chaque courant sanctuarisant ou excommuniant les acteurs de ce conflit. En Irak, les conflits politiques sont souvent confessionnalisés, ce qui fait craindre chez de nombreux clercs chiites et sunnites, une reprise de la guerre civile qui a ensanglanté le pays.
Pour beaucoup d’observateurs, la question du dialogue intra-religieux sunnites/chiites reste la clé de résolution d’un conflit religieux vieux de plus de 1400 ans. De la qualité et de la profondeur de ce dialogue indispensable résultera l’issue positive ou négative de cette relation.
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