Le 23 août 2022, à la suite de l’agression tragique du controversé Salman Rushdie, un article faisait sensation dans les colonnes d’un site médiatique français plutôt grand public. « Sortir de l’islam mais à quel prix ? » : tel était le titre de cet article racoleur surfant sur une actualité brûlante dans un climat hexagonal tendu. Au-delà du contenu de l’article assez simpliste et caricatural, la question inverse se pose elle aussi : quel est le coût de la pratique et de la parole musulmane en France aujourd’hui ?
Les polémiques nationales sur l’islam ne s’arrêtent jamais en France. Sans que nous ne puissions jamais sortir nos têtes hors de l’eau pour respirer un peu d’air et prendre le temps d’une réflexion nécessaire et posée, un tourbillon médiatique nous aspire sans cesse et revêt des conséquences réelles non seulement sur notre pratique cultuelle mais aussi sur nos vies.
Bilan d’un arsenal juridique ciblé
1989, date de la première polémique sur le voile à Creil, aboutissant à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école publique, sonna comme les prémices du délitement progressif de nos libertés. S’en suivi la loi de 2010 sur la dissimulation du visage, celle de 2016 sur la neutralité religieuse en entreprise puis la dernière en date, la dite « loi séparatisme » en 2021.
Toutes ces lois, sous couvert de respect aux principes laïques du pays, n’ont visées concrètement que la communauté musulmane. Inutile de tourner autour du pot et de débattre sur leurs utilités supposées ou non, il n’y a qu’une seule réalité : les musulmans furent les principales cibles de ces injonctions.
Sans compter l’asphyxie générale des débats politiques hexagonales, des sujets médiatiques et des reportages à audience sur les chaines TV focalisés autour d’un seul thème : la problématique supposée de l’islam en France et ce qu’importe la crise économique et sociale que traverse le pays.
Il est donc légitime de se poser cette question : Est-il encore possible de vivre sereinement sa foi en France ? On me rétorquera majoritairement que oui, mais à quel prix ?
L’islam, éternel étranger en France
Concrètement, l’islam ne s’est jamais inséré dans le paysage composite de la France. Ou plutôt devrais-je dire, nous sommes sans doute actuellement la toute première génération à être culturellement et intrinsèquement français et musulman. Avant cela, malgré une présence historique de longue date sur le sol français, les musulmans n’ont jamais été vu comme une composante à part entière du pays.
Portant l’image du sarrasin conquérant puis du colonisé à « éduquer » et ensuite de l’immigré accusé désormais de « grand remplacement », le musulman a toujours été perçu comme un élément étranger qui doit éternellement fait preuve d’intégration pour prouver son patriotisme.
Les rappels historiques d’une présence millénaire sur l’hexagone, ne sont le fait que de coercition entre deux entités indépendantes puis d’une relation de domination impérialiste d’un état sur d’autres. Une vision colonialiste qui fait encore écho aujourd’hui malgré notre enracinement sur deux ou trois générations.
Le converti, français sur plusieurs générations, passé du catholicisme à l’islam reste une particularité généralement peu appréciée. Inlassablement perçu comme une sorte de traitre à la patrie ayant tourné le dos aux siens.
En somme, la vision d’une grande partie de la population française sur l’islam reste calquée sur une vision historique héritée d’une époque de conflit moyenâgeux anticlérical et colonial qui n’a encore jamais été contextuellement traité peu importe le côté de la rive et cela est une tragédie pour notre génération et celle de nos enfants.
La république française, un héritage historique singulier
Cette relation historique houleuse ne s’arrête pas qu’au fait musulman mais également au fait tout simplement religieux. Sans faire de cours express d’histoire, nous savons pertinemment que la séparation entre le pouvoir de l’Eglise et celle de l’Etat républicain, entamé dès 1794, fut longue et douloureuse. Nous en ressentons encore aujourd’hui les séquelles idéologiques exprimées notamment sous le prisme de la sacro-sainte laïcité.
Le sentiment anticlérical voir antireligieux reste un trait de caractère très français dont certains, de nos jours, revendique clairement l’héritage. Ainsi il est assez aisé de comprendre les soubresauts actuels envers la communauté musulmane, cette communauté vivace encore très attaché à ses rites cultuels et à une morale éthique. Quand nous nous arrêtons sur la rétrospective des origines républicaines de l’hexagone, cette acharnement juridique et médiatique envers une communauté, fait donc sens.
Il suffit de questionner cette frange politique et sociétale sur leur nouvelle croisade moderne contre le voile, les mosquées ou encore les écoles confessionnelles, pour se faire une idée – plutôt effrayante – de leurs références. Se posant tout d’un coup comme porte-étendard protecteur des minorités opprimées dans certains pays (comme l’Iran, l’Arabie saoudite, l’Afghanistan…) tout en étant soi-même bourreau de leurs propres minorités sur leur sol.
Un effet miroir plutôt saisissant à méditer. En effet, comment citer en exemple des manquements civiles et sociétaux dans diverses contrées tout en pratiquant voire calquant ces mêmes manquements dans son propre pays. Une schizophrénie française.
Génération sacrifiée
On oublie souvent l’impact psychologique que génère ce matraquage médiatique incessant sur l’Islam, et les lois stigmatisantes qui les accompagnent, sur nos progénitures. Ne pensons pas que, pour nos jeunes, la vision quasi quotidienne, sur des chaines de grande écoute, de chroniqueurs et autres pseudo experts (?!) dénigrant continuellement la pratique religieuse de leurs parents n’a aucune incidence sur leurs constructions philosophiques et leurs façons d’appréhender le monde.
Le mépris culturel était déjà un fait acquis et banalisé pour notre génération mais ce mépris a pris, aujourd’hui, une ampleur telle que se dire ouvertement musulman et d’origine étrangère (plutôt afro-descendant) en société est un stigmate indélébile pour son avenir social et professionnel en France.
Soyons-clair. L’arsenal étatique juridique, médiatique, judiciaire et éducatif a crée un traumatisme psychologique dévastateur sur nos enfants. On ne compte plus les signalements pour un « salam ‘alaykum » dans la cour de récré, des arrestations en pleine classe pour un « je ne suis pas charlie », des harcèlements administratifs pour une tenue trop orientale au collège/lycée ou la soutenance d’une opinion jugée trop réactionnaire en cours d’histoire.
Nos bambins baignent dans une schizophrénie perpétuelle où on leur martèle stricto sensu qu’ils sont des « enfants de la république » tout en déconsidérant matin et soir leurs identités culturelles et religieuses différentes de la norme. Une véritable offrande pour les faiseurs d’idées extrémistes.
Plus globalement, il est désespérant que la société française en générale se lamente sur un supposé désamour d’une partie de sa jeunesse tout en s’aveuglant sur sa manière irraisonnée et offensante d’aborder le fait musulman. De là vient la question de la transmission des valeurs, du savoir religieux, de l’héritage civilisationnelle.
Dans une France qui, sous la loi séparatiste et une parole islamophobe encensée, s’acharne tous azimuts contre des imams, des écoles privés, des associations et des mosquées, on peut s’inquiéter sur l’avenir des prochaines générations. Auront-ils toute la liberté pour pratiquer et apprendre leur religion ? Pourrions-nous continuer à leur enseigner ce que nos pères nous ont enseignés ? La morale et les valeurs de l’Islam auront-elles encore le droit de citer d’ici une décennie ?
Le paraître musulman : un miroir éthique inversé
Les musulmans sont une communauté avec une attache religieuse forte qui vit en société avec d’autres qui ne le sont pas forcément. C’est sans doute là le problème. Les communautés religieuses doivent vivre à part des autres, du moins c’est ce qu’on nous fait souvent comprendre à travers des mots, des injonctions, des piques du quotidien. « Si tu veux vivre ta foi, t’habiller comme tu le souhaite et pratiquer ton culte, va vivre en Arabie Saoudite ou en Afghanistan…»
Les « bonnes sœurs » catholiques, les moines, les amish…toutes ces communautés qui ont une manière de vivre spécifique, et un visu ostensiblement reconnaissable, vivent en retrait de la société. Les musulmans non.
Dans une société qui prône une invisibilisation culturelle et une doctrine philosophique où tout le monde doit être comme tout le monde : un individu qui coupe ses journées par 5 prières, jeûne pendant un mois et prône des valeurs éthiques fortes…Ça heurte, ça gène donc on le lui fait savoir par diverses façons (souvent à travers des lois discriminantes).
Ça heurte surtout car en ne faisant finalement que vivre notre foi de notre côté sans importuner quiconque, on pousse cette société à ses propres contradictions.
« L’islam n’est que le miroir de nos insuffisances et de nos démissions. L’islam nous renvoie à l’image de notre déclin et de notre décadence. C’est ça qui nous est insupportable. »
avouait un politologue et écrivain catholique proche de l’ancien président Nicolas Sarkozy.
Finalement la liberté de culte, de croyance, la tolérance…tous ces mots inscrits dans la constitution ne reste que des mots et des droits uniquement pour ceux qui cochent les bonnes cases. C’est là le signe d’une société qui s’autodétruit elle-même par ses propres valeurs qu’elle ne souhaite plus accorder à une partie de ses propres « citoyens ».
Ibrahim Madras