Yasser Louati.
Dans sa dernière chronique que publie Mizane.info, le militant des droits humains Yasser Louati revient sur les rapports entre religion et pouvoir et plaide pour une théologie de la libération qui soit au plus près des réalités des peuples. Yasser Louati est l’auteur d’un rapport sur l’islamophobie en 2017 et 2018.
« Ce qui est crucial pour ceux qu’on appelle « les musulmans » et qui luttent pour leurs droits aussi bien ici en France qu’à travers le monde, c’est d’adopter une approche critique du pouvoir, et non une légitimation islamique de ce dernier.
La micro explique la macro. Le despotisme ou la tyrannie dans les lieux de culte, les organisations qu’elles soient religieuses ou non jusqu’aux plus hautes autorités politiques ne sont pas surprenants après des siècles de sacralisation du pouvoir, d’interdiction de toute responsabilité à l’égard du peuple ou des fidèles.
Le pouvoir n’est pas sacré et doit toujours être considéré avec suspicion, au lieu de le laisser sans contrôle ni remise en question, simplement parce que la religion est utilisée comme vernis pour amadouer les foules.
Cela ne provient pas de la religion mais de l’instrumentalisation de la religion par la politique.
Il n’est donc pas étonnant que figures religieuses et institutions parrainées par l’État se rangent toujours aux côtés du pouvoir contre le peuple, des puissants contre les faibles, de l’oppression contre la justice, de la domination contre la libération et de la destruction des solidarités non contrôlées par les dominants.
Ma conviction est que les musulmans européens et américains doivent rompre avec les régimes des pays à majorité musulmane et développer de réels liens de solidarité avec les peuples qui vivent l’oppression de ces régimes au quotidien. Cela permettra de développer leur propre lecture critique du pouvoir, leur propre philosophie de l’émancipation et leur propre théologie de la libération.
Une démonstration de cela est faite dans le monde musulman avec des autorités religieuses qui publient leurs fatwas au nom de Dieu mais de la part des groupes dominants et au service de leurs intérêts.
En Europe ou en Amérique, le problème réside dans les figures religieuses qui ne remettent jamais en question le statu quo et qui se soucient plus d’être cooptées par le groupe dominant -et donc de la suprématie blanche- en tant que « bons musulmans sans problèmes » plutôt que d’être aux côtés de musulmans et de non-musulmans qui combattent des modèles de société de plus en plus injustes.
Pour aggraver les choses, trop de figures religieuses sont si politiquement ignorantes et individuellement faibles qu’elles ne voient aucun problème à émettre des fatwas à la demande des gouvernements afin d’orienter l’opinion publique musulmane ou, comme on le voit régulièrement dans les débats publiques, servir de faire valoir ou se laisser instrumentaliser.
Il suffit de regarder les charlatans, entrepreneurs, technocrates musulmans ou « Imams » qui se livrent une guerre sans merci pour être désigné « délégué » des musulmans, comme leurs ancêtres les caïds dans les colonies.
Ma conviction est que les musulmans européens et américains doivent rompre avec les régimes des pays à majorité musulmane et développer à la place de cela, de réels liens de solidarité avec les peuples qui vivent l’oppression de ces régimes au quotidien.
Cela permettra de développer leur propre lecture critique du pouvoir, leur propre philosophie de l’émancipation et leur propre théologie de la libération.
Cette autonomie intellectuelle servira non seulement à libérer le potentiel de ceux qu’on appelle « les musulmans » dans leurs luttes mais aussi à renforcer la société civile lorsqu’elle se bat pour une société plus juste. »
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